Sous le casque

La passion sur deux roues

Le mot « passion » vient du latin « passio », lui-même dérivé du grec « pathos », qui désigne la souffrance physique. Plus tard, le mot a commencé à être utilisé pour désigner l’expression irrépressible d’un sentiment dévorant. De nos jours, le mot renvoie à une inclination très forte et s’est affadi au point de désigner un simple hobby. La moto n’a jamais été pour moi un simple passe-temps. Ni même un pauvre moyen de locomotion utilitaire. Depuis l’enfance, je manipule consciencieusement de formidables machines, belles, racées et puissantes.

Avec la moto, je n’ai jamais connu la souffrance. J’ai admiré les motos des autres. J’ai adoré les miennes. J’ai ennuyé mes proches avec des récits de rides qui n’étaient épiques que dans mon imagination. J’ai écrit des kilomètres de textes depuis plus de 10 ans. J’ai brûlé des hectolitres d’essence et d’huile. J’ai passé des heures au garage à découper de la tôle, à brancher des trucs improbables. Des heures à démonter, remonter, nettoyer, peindre. Faire une pause et prendre du recul, une bière à la main. Et continuer, tard,  à la lumière des néons. Des batteries, des joints, des gommes, des ampoules, j’en ai usé. C’était une obsession. Et, grâce à ce blog, un plaisir partagé.

LE BON VIEUX TEMPS

Et puis j’ai connu la souffrance. Et puis j’ai carrément fait de la mécanique. Là j’avais autant de plaisir qu’en roulant.  J’ai fait du sport, j’ai gardé mes amis, choyé ma famille. Je ne m’en rendais pas encore compte, mais une part du feu sacré s’était éteinte avec le malheur. Il y aurait un avant et un après. Mais je ne le savais pas. Rouler dans la nuit avec mon perf, couché sur mon réservoir rouillé, c’était sûrement une manière inconsciente de prolonger le souvenir. Quand on perd tout d’un coup, les réflexes ne disparaissent pas du jour au lendemain. On se relève et on court comme un canard sans tête.

Un jour, contre toute attente, j’ai retrouvé l’Amour. Elle me dit qu’elle aimait « les bonshommes à moto » depuis l’enfance. On faisait des sauts de puce pour aller boire un verre le soir. Mais je voyais bien qu’elle était inquiète. Et je ne voulais pas l’inquiéter. A moto, je gère et ça n’arrive qu’aux autres. Mais elle avait raison de s’inquiéter. Et ça ne m’est pas arrivé à moi, mais ce n’est pas arrivé aux autres. Ca ne s’arrêtera donc jamais? 

Alors, peu à peu, j’ai senti un truc étrange. Mes motos me semblaient lourdes. Trop brusques. Trop puissantes. Je me disais que j’avais un coup de mou. Et aussi sur la route, je voyais de plus en plus de gens déboiter brusquement dans les bouchons, les yeux rivés sur leur téléphone. Je voyais aussi beaucoup de jeunes motards faire n’importe quoi (mais bon, j’étais moi-même passé par là).  Les scooters, juste je n’en parle pas, hein. Il y avait aussi la lassitude due au harcèlement administratif : le contrôle technique et tout le reste. Je n’avais plus du tout le sentiment de liberté des beaux jours.

Et un matin, c’est tombé d’un coup. J’ai pris conscience du fait que j’étais assis à califourchon sur un moteur de 1300 cc. Je me suis mis à gamberger. Je n’ai pas honte de le dire : j’avais les chocottes. Quand je suis rentré du boulot, j’ai sorti la béquille, caressé la selle, et je ne suis plus jamais remonté sur ma bécane. J’ai mis les trois en vente à vil prix. Je ne sais que vous dire, mais c’est ainsi. C’est comme pour le surf, comme pour mon ex. Trop de connerie et de danger à l’extérieur; un trop fort sentiment d’oppression à l’intérieur. Et la certitude que demain sera moins bien encore. Stop. Rideau.

être vu en deux roues, je le veux
Sinon, on peut aussi prier pour rester en vie…mais j’ai comme un doute là.

Ai-je vieilli? C’est certain. Pourtant, je continue à vivre dangereusement. Je vais taffer en vélo assisté. En ville, les automobilistes sont complètement enragés. Sinon, j’ai accroché mes vélos vintages au mur et  je suis devenu un sacré cycliste. En selle Marcel ! J’ai des vélos carbones avec zéro électricité. Juste mes cuisses et mes mollets. Ils grossi d’autant plus que mes épaules et mes bras devenaient tubulaires. Je ne m’arrête plus jamais à station, même si je salue toujours les pompistes en passant.  Mon nouveau carburant, c’est l’eau. Je porte toujours un casque et des gants mais je ne fais plus du tout dans le vintage. C’est très technique. Quand j’enfile ces trucs moulants avant une sortie (à poil en dessous bien sûr), c’est comme si j’étais un matador qui revêt son habit de lumière. Et mes taureaux à moi sont des cols qui culminent à 2200 m. A vélo, j’ai de la souffrance, mais c’est différent. Elle me sert juste à tester mes limites. C’est moi qui la cherche et qui la domine. Et la récompense, ce sont les explosions d’hormones dans le cerveau et dans tout le corps. Les verres et les pizzas aussi.

Le plus drôle, c’est que je me retrouve sur mes anciens terrains de jeu. Mon expertise de la route est cruciale pour évaluer les dangers ou jauger les trajectoires en descente. Déjà qu’à moto j’aimais rouler nez au vent, mais là je me régale des paysages réunionnais. Hier, j’ai fait dix heures de selle. Presque 3000 m de dénivelé positif. 150 bornes. Je suis redescendu dans la brume et sous la pluie, puis dans la nuit. Le tout avec juste deux Pommes Potes et un Monster Energy dans le corps. Faut des jambes. Faut du mental. Faut pas flancher. Désormais, la machine, c’est moi.

MATEZ-MOI CETTE ROUTE MYTHIQUE !
SEUL REFUS DE COMPROMIS : PAS DE RASAGE DES GUIBOLES !

Bien entendu, je reste sensible à l’esthétique moto. Il n’est pas dit que je ne posterai pas de temps à autre la belle bécane d’un pote, ou que je n’écrirais plus sur l’avenir de la motocyclette.

Sur les interminables montagnes russes  de Cilaos, un motard avec un magnifique VFR rouge des années 90 m’a dépassé avec beaucoup de précautions et a disparu dans une magnifique courbe. C’était beau. Un peu plus tard, un biker qui descendait avec une énorme Indian m’a fait un petit signe de la main. Je lui ai souri. Et c’était cool.

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