Des mots, des motos et des montres
Bien avant de savoir piloter une belle meule, j’arborais de jolis cadrans au poignet. J’ai commencé enfant, avec des montres en plastique dénués de mécanisme. Des jouets quoi. Parfois même, elles étaient vendues avec des bonbons à l’intérieur. De nos jours, j’aurais déjà un smartphone dans la main et ne verrais pas l’intérêt de m’encombrer le bras avec quelques grammes d’acier. A quoi bon apprendre à lire l’heure si l’IA vous la donne à la demande.
Lorsque j’étais enfant, toujours, j’avais plaisir à composer le numéro de l’Horloge Parlante. « Au quatrième top, il sera… ». C’était mystérieux et hypnotique. Je m’en foutais pas mal de l’heure qu’il était. Mais je me sentais rassuré de savoir que les grands étaient assez maniaques pour la garantir à coups d’atomes. La montre ne m’a jamais rendu stressé ou pressé. Je comprends maintenant, enfin, qu’elle m’a toujours donné une illusion de stabilité dans un monde où tout change tout le temps. Quand je regarde un film, parfois j’oublie l’intrigue pour tenter d’apercevoir et d’identifier la montre du personnage principal. je suis une cible de rêve pour le placement de produit. D’ailleurs, je suis un spécialiste de James Bond.
C’est un fait : les gens ne portent plus de montre. Pourtant, dans son infinie sagesse, Socrate affirmait lors de son procès (Platon. Apologie de Socrate.) que ce n’est pas parce que les abrutis pensent tous la même chose que tu as tort si tu n’es pas d’accord. Il faut croire que notre époque n’est pas complètement perdue puisque, malgré les assauts successifs du quartz, des téléphones et de la montre connectée, un noyau dur de sages et d’esthètes aux yeux d’enfants continue d’être fasciné par la danse de la trotteuse inaccessible derrière sa fenêtre de verre. Rolex est systématiquement en rupture de stock et il faut réserver en pré-commande la moindre nouvelle pépite de micro marque française.
Sur ce blog, je postais parfois de belles montres, récentes ou anciennes, mais je restais un consommateur. Je n’étais pas encore passé de l’autre côté du cadran. Or, la donne a changé. Les hasards de la vie m’ont amené à modifier mes montres, puis carrément à assembler des « full custom », c’est à dire à créer des montres uniques en assemblant des pièces Seiko issues de l’after market. J’avais acheté une Seikomod bien vintage. Une réplique de Submariner vintage. Mais j’ai fêlé le plexiglas bombé. Horreur ! Etanchéité foutue ! J’ai donc commandé des pièces et des outils, j’ai démonté une autre montre et…j’ai fabriqué une autre montre qui n’avait plus rien à voir.
Ensuite, tout s’est emballé, comme pour les motos. Rappelez vous. Dès que j’achetais une motocyclette, je la modifiais de plus en plus. Et un jour j’ai acheté deux épaves de VFR 750 et j’ai récréé la moto de mes rêves : le Honda VFR de 86. Je ne sais pas pourquoi, mais quand un truc me passionne, et comme je suis un grand perfectionniste, je dois aller jusqu’au bout, quitte à tout apprendre en partant de zéro. Vous me suivez? On reste dans le custom, la créativité et le partage entre passionnés. Et dans la transmission. Mécanique et spirituelle.
Pour les motos, pour les vélos et pour les montres, c’est le même principe dans mon esprit. Un life style. On a des roues et des axes, des moteurs, de la mécanique. Une distribution d’énergie et une précision maniaque. Et l’esthétique ! La beauté des courbes, des compteurs, des guidons, des bracelets. La musique du 4 cylindres en lignes de mon XJR 2003, des cliquetis de chaine de mon Peugeot PR 10 de 76, du tic tac de mon chrono full or de 65. De la pure poésie issue de la Révolution industrielle. Mais entendons nous : il serait trop facile de vanter la nostalgie réactionnaire. Je suis bien content d’aller au boulot avec mon Beach bike assisté. Pour attaquer les hauts de la Réunion je prends mon carbone de 7 kilos tout sec. Et j’embarque un Garmin branché sur mon capteur de rythme cardiaque. Tout simplement, il faut vivre avec son temps. Et pour cela je garde une boussole depuis toujours : la montre mécanique.
Voilà pourquoi j’ai basculé dans le Seiko modding. Les horlogers amateurs qui assemblent ces pièces ou même se contentent de changer un bracelet ou une lunette tournante continuent à acheter des Seiko neuves ou de collection. C’est mon cas. Dans une interview récente, Isabelle Couturet, la big boss de Seiko France et désormais Europe, reconnaissait regarder d’un œil sympathique ces afficionados dont les productions ne sont, bien entendu pas couvertes par la garantie de la vénérable marque nipponne. Nous ne parlons pas des contrefaçons. Fabriquer un clone de Rolex récente avec le logo Seiko comme alibi ne trompe pas les vrais modders. C’est exactement comme Harley à la belle époque. Il allait de soi qu’une HD était vouée à la modification, avec des pièces issues de la maison de Milwaukee, ou le plus souvent via des sous traitants qui proposaient des catalogues plus ou moins homologués. En gros, avec Seiko (dans une moindre mesure, le modding existe aussi chez Rolex), tout est permis. On peut juste changer la ligne d’échappement ou se retrouver les fesses sur un chopper à la fourche conçue sur mesure au fond de la grange.
Ma grange à moi, je ne l’ai pas installée dans mon garage. Je me suis fait un petit atelier dans la chambre de mes grands garçons partis du nid . J’ai découvert les joies du silence, de la clim, de l’obsession du moindre grain de poussière, des lampes et des loupes, et je suis passé de la clé de 12 au tournevis Bergeon de 8 mm. Il y a toujours des joints, de la graisse et de l’huile. Et je cherche toujours cette foutue pièce qui a disparu en rebondissant au sol. Je suis seul au monde dans la nuit avec mes loupiotes. J’ai tout refait en mode Marine Nationale, comme au bon vieux temps où je faisais du quart en tant qu’homme de barre.
Bien entendu, je ne suis pas un vrai horloger. J’arrive à dépanner les potes pour les choses simples : fixer une aiguille, etc. Mais pour le modding, il faut savoir que le mouvement de type NH35 (et suivants) arrive tout en capsulé dans sa coque et qu’il n’y a plus qu’à lui greffer un cadran. On n’installe pas des roues dentelées ou des balanciers. Par contre, il m’arrive de changer une masse oscillante, et régler le jour, la date, une GMT, ou encore installer la trotteuse sur son microscopique axe diabolique sont des gestes techniques interdits aux gens atteints de tremblote ou d’impatience. Le NH35 est un véritable Caterpillar de l’industrie du garde temps entrée et moyenne gamme. Il est le prolongement d’une longue lignée de machines automatiques. Je suis l’heureux possesseur du vampire japonais originel, le mythique Seiko Giro Marvel. Ces mécanismes résistent aux vibrations des motos et aux tremblements de parkinson. mieux : ça booste leur réserve de marche. On me parle PT5000, Miyota et autres concurrents dont j’ai déjà écouté les sirènes. Mais rien ne vaut ce bon vieux NH35.
Pour me motiver, j’ai fait comme pour les motos. Je me suis fait un logo qui claque. Un trident stylisé ! Bon, au début je n’ai pas eu de chance. Je voulais des couleurs typiques de la plongée des années 60/70. Je voulais qu’on se retrouve immédiatement dans Opération Tonnerre, avec des combis bleues et des liserés jaune citron. Un visuel iconique quoi. J’ai donc tout naturellement pondu…le blason de l’armée ukrainienne !
Mes potes m’ont bien charrié, je l’avoue humblement. Mais je reste droit dans mes bottes. J’ai eu l’idée avant eux…euh, quoique. Et puis j’espère que mes montres tourneront encore après cette horrible guerre (avec ce tracteur de mouvement Seiko je ne prends pas trop de risques) Bon mais ce sera top pour les plongeuses, de toute façon. Ensuite, j’ai trouvé un fournisseur hyper cool et réactif qui me sort des logos métalliques minuscules en or, en argent et en or rose. Le rêve d’enfant s’est alors accompli : porter des machines sur mesure avec mon blaze de l’autre côté du verre !
J’ai trois catégories à l’image de ce qu’on peut vivre dans l’Océan Indien (je navigue pas mal entre la Réunion et Maurice) et à Paris (où je vais quand Emilie n’y est plus). Il faut des montres classes, robustes et étanches. Des plongeuses donc, pour le kayak en eau vive ou en mer, pour la plongée en apnée ou avec bouteille, pour la natation dans le lagon où en piscine, et pour se la péter en soirée.
Il me fallait aussi des kakhi field watches, pour randonner, escalader, barouder, faire du vélo, se bagarrer à la sortie des bars et se la péter en terrasse.
Et enfin, j’avais besoin de posséder des tool watches citadines, pour faire tout pareil que les autres Clay Watches et se la péter au boulot.
En gros, avant de faire une montre, je me demande toujours si James Bond pourrait la porter ou si il la balancerait au fond d’un verre (vide) de Dry Martini. Je fais dans l’acier inox 906, le titane, l’étanchéité à 200 m et le lumen qui en met plein la vue de nuit. C’est pratique pour trouver son chemin quand la prostate n’est plus toute jeune.
Ah mais oui j’oublie les montres pour mes chéries !!! Ma meuf, ma môman, ma frangine mes copines. Le Girly Club !
Je vous dévoilerai donc dorénavant mes nouvelles chéries. J’y reviendrai dans de futurs posts pour vous narrer leur histoire par le menu. Je suis en quête de la montre idéale. mais il y a toujours mieux à faire. Quand je mourrai, si je ne suis pas trop surpris par le temps, j’espère ne pas regarder l’heure, mais caresser sur mon poignet une montre qui me plaira assez pour que ceux que j’aime pensent encore un peu à moi en la portant.
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