Le lion n’est pas mort
« Dans la jungle, terrible jungle, le lion est mort ce soir… » La marque au lion, c’est Peugeot. On n’en finit pas de pleurer les éternels ratages des motos françaises. Depuis le 16 Janvier, le Groupe PSA (Peugeot Citroën DS) devient Stellantis, issu de sa fusion avec le groupe FCA (Fiat Chrysler). Mais quid des fameux Cycles Peugeot?
Dès le début, c’était confus. En 1896, Armand Peugeot, qui fabrique des bicyclettes depuis 1885, crée la « Société anonyme des automobiles Peugeot ». Tels les neveux de l’oncle Picsou, Pierre, Robert et Jules Peugeot se lancent en 1897 dans la fabrication de cycles sous le nom « Les fils de Peugeot frères ». Pour clarifier la situation, ils en ajoutent une couche et produisent en 1906 leur première automobile. Pour mettre fin à cette lutte intestine, les deux entreprises familiales fusionnent en 1910 sous le nom de « Société anonyme des automobiles et cycles Peugeot ». Et c’est parti pour la saga. Mais c’est une autre histoire.
En 1992, pour faire face à la concurrence asiatique, les cycles BH (Espagne) achètent la licence de fabrication des cycles Peugeot en Europe et se rapprochent de Gitane pour créer le groupe Cycleurope8. En 2004, Peugeot reprend en main les cycles Peugeot (la fabrication est toujours sous-traitée à Cycleurope10). Alors, que reste-t-il de Peugeot ? Pour moi, la réponse est claire : les beaux vélos du Tour de France de mon enfance.
La quête du Peugeot vintage commença donc par des recherches en ligne. A la Réunion, on a vite fait le tour. C’est Market Place ou le Bon Coin. Il est fini le temps où j’arpentais les brocantes et autres vide greniers pour dénicher une board jaunie montée en quattro ou un vieux phare de moto des années 50. Je roule déjà sur un Vitus de 93. Mais je voulais remonter encore un peu plus le temps. Les vélos des années 70 sont ceux de mon enfance. Grosse nostalgie de quinqua qui ne veut pas vieillir trop vite ? Le problème de la nostalgie, c’est qu’il convient de la surveiller de près. C’est un sentiment naturel que celui qui consiste à chérir le souvenir des bons moments passés. Il faut l’entretenir. Mais, comme tous les sentiments, il peut susciter des émotions incontrôlables, lesquelles risquent à leur tour de se transformer en sentiments, beaucoup moins reluisants ceux-là. Du genre « C’était mieux avant ». Les pare-chocs en métal chromé : je les aime esthétiquement, mais je sais que ces trucs étaient aussi dangereux que les élégants volants dénués d’air bag. Je ne pense pas que Steeve Mac Queen aurait refusé d’essayer une Triumph Speed Triple s’il avait vécu 13 ans de plus.
Nous sommes en 1903. Maurice Garin a gagné le Tour de France. Il est couché vers l’avant sans potence, sans freins, sans roue libre ni dérailleur. En gros, perché sur l’équivalent d’un fixie de 20 kg, il a gravi des cols pour ensuite freiner dans les descentes en rétropédalage. Ce type filait à 25 km/ de moyenne. C’est ce que je donne avec mon vélo de 10 kg de 93 quand je suis en super forme ! Imaginons son regard s’il avait pu contempler une machine de 7 kg avec changement de vitesses au guidon. Pour autant, les avancées technologiques ne s’imposent pas toujours d’elles-mêmes. Ainsi, le dérailleur électrique fut inventé dès 1992 par Mavic. Mais les coureurs ne l’ont adopté que récemment. Pourquoi changer une combinaison gagnante au profit d’un gain hypothétique ? Les freins à disques ont conquis 70 % du peloton. Mais certaines équipes, parmi les plus prestigieuses, continuent à les bouder. Ils pèsent plus lourd que les bons vieux patins. Ils sont tranchants en cas de chute. Leur entretien rend la logistique complexe et le dépannage est plus long en cas de crevaison. Ils poussent à revoir l’équilibre général du vélo. Alors, était-ce mieux avant ? Ne cédons, ni au passéisme réactionnaire, ni au culte du progrès à tout prix.
En gros, chaque époque trimbale son lot de tares et de bonheurs. Changer de vitesse en actionnant une petite manette fixée sur le cadre me fait perdre quelques secondes. Mais je ne fais pas de compétition. Le geste a son charme, et fait travailler mes neurones. L’émotion ne saurait primer sur la raison. Cessons de raconter n’importe quoi. Il y a des choix à faire en fonction de plusieurs paramètres : les finances, la sécurité, la pratique, la mode…et la poésie.
Pour moi, la poésie est essentielle. C’est la concession nostalgique que je fais aux choix rationnels. Elle donne du sens et du plaisir à mon existence, indépendamment de la performance. La poésie est indissociable de l’esthétique. Trouver les lignes d’une machine séduisantes ou repoussantes, c’est une affaire de mode, mais aussi une histoire de goût subjectif. C’est très personnel. Les vélos contemporains sont aérodynamiques et légers. C’est vraiment beau, en termes de design. Mais je préfère la géométrie classique des vélos vintage. La finesse des haubans. Le triangle formé par les trois tubes est d’une perfection toute pythagoricienne. Pas un tube plus épais que les autres ! Et surtout, je ne puis renoncer à la parfaite horizontalité du tube…horizontal. Cette barre qui parle immédiatement à mes testicules, lorsqu’il s’agit de vérifier si un vélo est vraiment trop grand pour moi.
Bénéficier de la technologie, c’est une chance. Grâce à l’électronique du Garmin, je peux gérer mon rythme cardiaque en temps réel. Mais cela ne m’empêche pas de vouloir posséder également de vénérables beautés.
La chance m’a souri avec ce Peugeot gris métallisé. En photo, il semblait à peu près correct. Le vendeur s’est trompé (ou a menti) sur la taille du cadre. Heureusement, car je me suis quand même déplacé, alors qu’il vit à l’autre bout de l’île. Un rendez-vous digne d’un échange d’enfants du divorce, le week-end, sur le parking d’un resto baptisé Les 3 petits cochons (cela ne s’invente pas). On sort la bête du coffre de la voiture du gars. Je demande la permission de l’enfourcher. Ce n’est pas du 52. C’est manifestement du 58 ! Depuis, j’ai appris à reconnaître la différence au premier coup d’œil. C’est le vélo de son grand père. Il l’avait fait venir de Normandie par container. Voir un Peugeot des 70’s avec si peu de points de corrosion sur une île au climat tropical, c’est rare. Bon. Je ne pourrais jamais rouler avec. Mais il est trop beau. Et personne ne l’achètera. La majorité des pratiquants se foutent du vélo vintage ici. Ils veulent une bête de compétition ou un truc électrique tout neuf. Je commence à imaginer le vélo en train de rouiller dans sa cour, ou balancé dans la benne « métal » de la déchetterie. Il me fallait le sauver. J’en avais fait une affaire à la fois personnelle et patrimoniale. Tant pis pour la route. Il finirait accroché à un mur du salon, quelque part entre le trophée, la pièce de musée et la déco « instagrammable ». On négocie. Il chiale. Je mendie. On se sert la main.
J’ai changé la guidoline d’époque et je l’ai remplacée par sa réplique contemporaine, toujours produite par une vénérable institution française. J’ai regonflé les boyaux âgés de près de 50 ans. Un des deux était toujours valable ! J’ai passé plusieurs heures à le nettoyer, du moindre rayon jusqu’à la selle. Ensuite, j’ai passé autant d’heures à traquer la moindre information en ligne sur mon nouveau jouet. Sur le web, on a accès à tous les catalogues des vélos Peugeot, des origines à nos jours.
Pour les vélos des années 70, le numéro de série ne sert pas à grand-chose. C’est la jolie plaque en relief avec le lion du tube de direction qui m’a permis de le dater de 1976. C’est l’été de la première canicule de mon enfance. Déjà les effets du réchauffement climatique ? Ensuite, en observant de près les équipements et les stickers, je dus bien me résoudre au fait que mon biclou n’était pas un PY 10, la prestigieuse série réalisée à la main dans l’atelier d’élite de Peugeot. J’ai donc là un vélo de série. Mais pas de l’entrée de gamme pour autant. J’aurais pu le confondre avec sa frangine randonneuse qui porte la même robe et pas mal d’équipements en commun, le PA60. Mais l’absence de garde-boue, de porte bagage, et de trace laissée par une éventuelle ablation de ces organes secondaires, me menèrent tout logiquement au PR10L, le modèle Course Amateur Grand Luxe.
J’ai même trouvé sur Insta la facture et le bon de garanti livré avec un de ses frères jumeaux. Ce fut salutaire car la selle de marque Idéale ne collait pas. Certains Peugeot étaient bien livrés avec une Idéale 2002 en 76, mais pas le PR10, lequel était vendu avec une 2001. Peut-être une exigence de confort de la part de l’ancien propriétaire. J’ai bien vu des gars installer des garde boues de PA d’origine sur des PR, comme pour ajouter à la confusion.
1976, c’est vraiment l’année où les ados veulent tous un Peugeot. Les 10 vitesses, le double-plateau Stronglight, les dérailleurs Simplex, les jantes « rigida » et le cadre allégé : autant d’équipements de compète que l’on pouvait retrouver en série sur des bécanes robustes et fiables, avec un look inimitable. Ah, les stickers à damier !
En approfondissant, je me suis aperçu que le moindre composant de mon vélo avait été produit en France par Peugeot, ou par des entreprises françaises plus ou moins artisanales et sous-traitant pour Peugeot. Hum…n’était-ce pas un peu mieux avant, de ce point de vue ?
Ok, les trois tubes en acier Reynolds 531 viennent de Birmingham, glorieux fief des Peaky Blinders, qui a longtemps été la référence pour toutes les firmes soucieuses d’alliage de qualité.
Un pédalier en dural Stronglight 49 D (à Saint Etienne depuis 1906)
Des freins Mafac racer (Manufacture Avernoise de Freins et Accessoires pour Cycles, à Clermont-Ferrand de 1947 à 1985)
Des jantes Mafac
Des dérailleurs avant et arrière Simplex et une tige de selle Simplex en dural (Firme aujourd’hui disparue, fondée à Dijon en 1928 par Lucien Juy.)
Une selle idéale 2002 ( Firme normande fondée en 1890 par J-F Tron, fermée en 1984 et relancée en 2011 par des passionnés. Les 22 pièces qui la composent sont toutes produites en France.).
Un guidon (on ne disait pas « cintre ») de course (on ne disait pas « route ») AVA en dural (à Lyon)
Des pédales Lyotard (Maison fondée au début du XX° siècle à Surry-le-Comtal et disparue dans les années 80) et des cale-pieds Christophe (produits depuis 1925 par la société Zéfal dans le Loiret) et équipés de sangles Lapize (autrefois conditionnés et distribués par la Soffac à Saint Etienne).
La pompe d’origine (quelle chance !) est une Had Hoc (marque des établissements Colombat qui produisait des pompes à Lyon depuis 1938) de 80 grammes à raccord rapide intégré. Fabriquée sur la base d’une unique bille de 4 cm de diamètre, elle permettait de gonfler un boyau au-delà de 10KG de pression.
Et n’oublions pas la finition Peugeot, avec tête et fourreaux de fourche chromés.
Les vélos Peugeot classiques sont admirés et collectionnés dans le monde entier. Bon, tout ça, c’était avant. Mais le vieux lion n’a pas dit son dernier mot. En 2018, la firme de Sochaux a réédité une jolie machine de…11,5 kg. C’est la seule bécane de route à leur catalogue…avec un cintre plat pour la ville…et des équipements japonais by Shimano.
Une petite vague néo-rétro plus ou moins assumée, avec aussi des modèles électriques. Une goutte d’eau dans l’océan des presque deux millions de voitures annuels vendues dans le monde. Il y avait aussi le Legend LU01, magnifique machine orange avec un cintre route à guidoline cuir marron, hélas monté en fixie.
Les stocks sont quasi épuisés, alors c’est désormais déjà « avant ».
Alors le lion est-il mort? N’en finit-il pas d’agoniser? On ne sait pas. Mais c’est chouette de le faire revivre.
Suivez-nous:
4 commentaires
Christophe Pierret
Belle machine, je comprends qu’on puisse ètre fasciné par un vélo, invention merveilleuse
Clay
Merci Christophe. Oui, fascinant est le mot ! Bonne route. Clay
Philippe Dessoyer
Salut, magnifique rétro sur les vélos Peugeot, super, belle passion .. Que la passion soit ! Moi, c’est la photo, ici, sur l’île.. 😉
Clay
Merci à toi. J’irai voir tes œuvres 😉