Surf, hipsters et trousses à outils
Avons-nous encore besoin d’une trousse à outil ? En ce début de XXI° siècle, déjà sérieusement bien entamé, on nous parle de motos électriques, et les gens branchent des ordinateurs sur leur bécane par port USB.
Les assureurs ont, eux aussi, fait des progrès. Pas forcément sur les tarifs, hein…Mais bon, quand à minuit vous perdez le sale écrou qui rend toute la bécane inutilisable, ils vous envoient une dépanneuse qui dépose la machine à votre bouclard le lendemain matin, et un taxi pour ramener Madame à la maison.
Finie, la grande époque où, sous une pluie battante, la lampe torche entre les dents, on tentait des répas avec du fil de fer barbelé récupéré sur une clôture en attendant que l’oncle Gégé arrive avec la Simca 1100 et sa carriole attachée à la boule.
Mais alors pourquoi cette déferlante de trousses à outils dans les sites et les mags moto ? Et pas des machins high tech en kevlar, hein. Du pittoresque, de l’authentique et du rugueux.
Et, comme tous les articles soignés et réalisés avec tradition dans de nobles matériaux, ce n’est pas vraiment donné.
Il y a là un retour aux origines, comme avec tout le courant néo-rétro. Un mouvement parfois irritant, mais souvent séduisant. Bien sûr, tout le monde commence à se moquer des hipsters bobos qui découvrent avec candeur les joies du pneu qui glisse dans la boue. « Minceuuu ! C’est dingueuuu ces traces de terre sur mes boots en série limitéeuuuu ! Trop vintageuuuu ! »
Le mouvement néo rétro hipster est en pleine récupération par l’industrie qui y voit un moyen de sortir du plastoc fluo et de nous fourguer de vieilles recettes tout en proposant aux moins radicaux des urbains actifs et des jeunes retraités une crédibilité « bike rebel ». On le voit avec la Nine T de BMW, le Scrambler de Ducati, et, « damned ! », avec le nouveau XJR 1300 de chez Yam.
Face à cette offensive des forces de l’Empire, seule la sociologie la plus pointue peut prévoir l’évolution des motards barbus en chemise à carreaux. Vont-ils délaisser la moto pour une Porsche de collection, un pick up woodie, ou un combi WW quand ils auront un enfant ? Ou vont-ils tenter de raviver la mode du Solex ? Parviendront-ils à concilier la mécanique, l’écologie, le pouvoir d’achat et les pâtisseries sans gluten ? Faut-il vapoter ou fumer la pipe au maïs ? Argggh !
Rien n’est simple. A la fin des années 70, nombre d’irréductibles revendaient leur bécane pour installer un couffin sur la banquette arrière d’une Austin mini. (la vraie, la seule : pas ce truc pour riche idiote qui vous fera tomber en textant des inepties au Stop). Ils ne parlaient même pas nécessairement de « Café racer », ou de « roadster ». A l’époque, la majorité des meules étaient à bracelets et dénuées de carénage.
Depuis la fin des années 10 (2010), le gens délaissent leur voiture de bourge pour la moto. Marre des bouchons. Envie de liberté et de sensations. Etre un rebelle sur l’asphalte au moins pour une demi-heure avant le bureau, quand il ne pleut pas. Faut-il saper cet élan de bonne volonté? Je ne le crois pas. Nous sommes tous là pour apprendre. Chaque jour, je rencontre des gens hyper savants quant à l’histoire de leur moto chérie, de la HD au Dax en passant par leur Bonnie à I.E. C’est bien agréable. La passion, c’est déjà cela. Tant qu’il y a du respect.
Il faudra que j’analyse les rapports entre le surf et la moto, du point de vue néo rétro. J’ai été un des premiers à la Réunion (si je dis le premier, je vais encore me faire incendier) à commander à mon shaper une planche fish tail à 2 dérives. Au début, il a rigolé et ne voulait pas. Trop obsolète. J’ai fabriqué les dérives moi-même car on n’en trouvait nulle part. Puis, j’ai sufé un petit quatro Mark Richards acheté une misère dans une brocante. Presque plus épais qu’un long board. Tout le monde croyait que le logo MR renvoyait au fameux shaper de St Leu. Quelle inculture. Quelle fermeture d’esprit. Quelques années plus tard, le même shaper m’apprend qu’il vient de sortir un nouveau concept avec 4 dérives et un stabilisateur.
Mais je n’avais rien inventé. Déjà en Californie des gars faisaient pareil. Il y a dans le monde du surf un mag appelé Surfer Journal. C’est exactement Café Racer Magasine pour les motards. Je les ai tous. Les deux. Très vite on a vu des gars de Venice Beach et d’ailleurs fixer des barres latérales pour aller jusqu’au meilleur spot avec de vieilles Yam 650 XS. Depuis, on a vu le nombre de surfers se multiplier un peu partout dans le monde et tout le monde connaît le succès grandissant de Wheels and Waves. Alors je me dis, peu importe le rider, ou sa machine. Ce qui compte, c’est l’ouverture d’esprit et le respect.
Quand je surfais, c’était toujours dommage de voir, une fois le soleil levé, des hordes de surfers débarquer en hurlant. Toujours plus nombreuses. On était bien, peu nombreux, à partager les vagues en silence. Un sourire suffisait. Et puis on voyait ces gros SUV se garer sur le parking, et des gars brandir des téléphones. Autrefois, c’était risqué de venir de St Denis pour surfer. Se lever à 4h, dans le froid. Avaler un café trop chaud. Ecouter « Smells like teen spirit» dans la voiture pourrie pour se donner du cœur. Se dire qu’on ne rêve pas. Que c’est normal de rouler ainsi dans la nuit, seul, avec plusieurs planches sanglées sur la galerie. Arriver face à l’Océan pour découvrir une mer plate comme une limande sole. Il n’y avait pas les sites de prévisions météo. Il n’y avait pas de GSM. Il n’y avait même pas internet.
Alors quand un jeune gars à qui j’avais gentiment appris un ou deux trucs depuis deux ans, et dont j’avais patiemment enduré les questions candides, se mettait à me gueuler dessus par ce que je n’avais pas annoncé de quel côté de la vague je partais, je me sentais trahi. Toutes ces fois où, débutant, j’avais patiemment observé chaque bon surfer au line up pour être sûr que je pouvais me lancer. Toutes ces fois où je n’avais pas assez bien regardé derrière moi et où des colosses tatoués venaient me pourrir. Et je trouvais cela normal. C’était une question de respect.
Souvent, sur la route, c’est pareil. On voit bien que des gars qui se foutent de l’histoire de la moto vous font la bande où vous frôlent dangereusement, alors que votre fille s’accroche comme elle peut derrière. Pas de signe, pas de merci ni d’excuses. Au mieux, ils ne vous voient même pas. Au pire, ils l’ont fait exprès. Des T-Max, des motos puissantes et neuves, des engins souvent très tape à l’œil, très coûteux. Et soyons honnêtes, ils ne sont pas chevauchés (je n’ose écrire « pilotés ») par des barbus en chemise à carreaux. Alors, « faux motards », les hipsters ?
Avouons-le, c’est sympa, ce conformisme dans la créativité. Il y a de belles choses et je connais des gens vraiment chouettes issus de cette mouvance. Je suis fatigué de décerner des brevets de « vrai » ou « faux » motard. Ceux qui critiquent ne font généralement rien. Le cuir, les beaux tissus et le métal, c’est toujours bien agréable, surtout filtré par Instagram. N’oublions pas cependant que le plastique lui-même a une histoire, et que certains des grands classiques du design ont plus de 40 ans d’existence et furent moulés dans des dérivés du pétrole. Alors personne ne peut être plus royaliste que le roi en matière de traditions et d’authenticité. Vous le voyez bien, c’est un long sujet et je ne détiens pas toutes les pistes pour y voir plus clair. Je vais continuer d’y réfléchir dans de nombreux posts. Et en attendant, quid de la fameuse trousse à outils ?
Alors, ok, pour les ¾ des gars qui ont une superbe trousse à outils, elle ne leur servira jamais. C’est toujours avec émotion, quand j’achète une moto d’occase, que j’ouvre la trousse à outils. Souvent un machin hideux en plastique, avec de pauvres édentées faites du plus mauvais des alliages. Le constructeur a fait des économies sur cet article obligatoire, le dissimulant honteusement sous la selle, généralement sanglé dans un endroit inaccessible. Il y a toujours le fameux tournevis en plastique, avec un embout réversible qui casserait à la première difficulté. Tout ceci sent encore le neuf, et parfois l’ancien propriétaire l’a agrémenté d’une vis ou d’un chiffon dont il a le souvenir qu’à la dernière panne, cela l’aurait bien aidé. Et souvent il n’y avait pas assez de place alors il a serré très fort.
Je ne sais si je dois m’en vanter, car je suis tout sauf un parangon de mécanique. Mais j’utilise mes outils.
Les hipsters, ils aiment avoir de beaux outils, car le système les a frustrés dans leur désir de se salir les mains et d’avoir des ampoules. Ce n’est pas leur faute. C’est le système éducatif qui veut cela. Quand j’étais petit, il était mal venu d’utiliser ses doigts, même à table. Au début, c’était chouette de pétrir la pâte à modeler et de découper du papier crépon avec les petites mains potelées. Puis on vous donnait des coups de règle en fer dessus, et bien vite on les cramponnait à un sale plumier pour vous apprendre à tracer sans cesse des lignes ineptes. Quel mal y a-t-il à admirer l’artisanat et à vouloir se parer de ses attributs les plus immédiatement saisissables : les outils ?
Les miens sont souvent moches, mais il y a toujours une opportunité pour aider un copain dont le phare se dévisse. Et les fois où on roule en Dax, alors là il FAUT une trousse. Il y a toujours un truc à fixer et on ne va pas attendre une dépanneuse et se gâcher la balade. Et depuis que j’ai troqué ma moche trousse en toile plastifiée contre ma belle trousse de bobo, je m’en sers toujours, voire plus, et pas que pour la moto.
L’idée, c’est qu’on n’est plus jamais pris au dépourvu, quand on trimbale à peu près tout ce qui peut aider au quotidien : du décapsuleur à la clé USB en passant par le tourne vis fétiche légué par mon oncle Gégé. C’est plus que ma trousse à outil. Une sorte de « vanity case » macho, vous voyez ?
J’aimais beaucoup le porte folio proposé par ICON, mais c’est pas donné, et je n’avais pas encore vu celui que propose 4h10 pour moins cher que le truc de chez Deus.
De toute façon, j’ai débusqué la trousse à outils moto bobo la moins chère du marché…dans une boutique pour travaux manuels. Ma fille m’avait traîné là pour acquérir de quoi pratiquer le noble art du scrap booking. C’est à Ste Clothilde, Les couleurs du Temps. Juste à côté de Bourbon Pièces Auto. A l’intérieur, c’est la boutique de Madame Olson, dans la Petite Maison dans la Prairie. Des vendeurs et des vendeuses en tablier s’activaient avec frénésie, et on se sentait un peu de trop, dans le passage, avec les casques. Mais une fois Mademoiselle repérée, ils se sont pliés en quatre pour accéder à ses désirs créatifs.
Et si un jour j’en ai marre d’y mettre des clés et des couteaux, je pourrai toujours y ranger mes pinceaux et crayons, vu que c’est sa première destination, et que, toujours avide de me dérouiller les doigts, j’aime bien aussi dessiner et peindre les bécanes que j’ébauchais en classe quand j’étais mioche.
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Un commentaire
gilles
Comme disait un de mes potes lorsque l’on partait faire chier les écolos oups, pardon, faire une virée en enduro dans le parc national de la plus belle île du mânde…
« moi, j’prends pas d’outils…ça fait tomber en panne… »