Un jeu d’enfants
La moto est elle un jouet pour adultes, ou une activité d’enfants sérieux?
Déjà enfant je jouais avec les motos. Je précise bien « jouer », car pour l’essentiel, la moto pour moi n’est pas un moyen de transport. Je me moque pas mal de gagner du temps. Se retrouver dans les embouts en voiture, ou fonçant en moto pour arriver à l’heure, c’est en apparence opposé, mais c’est toujours perdre son temps. Je préfère foncer à moto, bien sûr, mais c’est stressant. Foncer pour le plaisir, c’est différent. Se faufiler entre les voitures sans poser le pied, c’est aussi très amusant. Jouer donc. La moto est un jeu. Un jeu dangereux, mais un jouet pour adulte tout de même.
Enfant donc mon rapport à la moto était ludique: j’adorais chevaucher des machines: tracteurs en plastique, tricycle (les 2 roues étaient derrière, pas devant comme sur un T Max), vélo, Kart à pédales. Dans le manège, je choisissais parfois l’avion, car on pouvait monter en actionnant le manche à balais, mais la moto jouissait à mes yeux de plus de prestige. Elles étaient très ressemblantes aux anglaises. C’était une période bénie. Il n’y a avait pas de ceintures de sécurité à l’arrière de la voiture paternelle, ni de sièges enfants. Je jouais sur la plage arrière et quand il freinait je chutais en bas jusqu’au levier de frein à main. Mon père avait une petite Fiat rouge. Il disait « On fait la Porsche? » « Vas-y Papa! » Alors il donnait des coups de volant à droite et à gauche. je hurlais de contentement. Maman suppliait arrête, tu va nous tuer. Les pare-chocs étaient chromés. Mon grand père avait des camions, des Berlier. Il m’installait avec une cale sous le pied et je pouvais accélérer au point mort: une sensation de puissante démente! C’était chouette. J’adorais le milieu urbain. L’odeur des parkings souterrains! Celle du bitume quand la pluie commence à tomber en été! Le défilé du 14 Juillet, avec les motards de la Police Nationale qui ouvrent le cortège!
Quand, jeune homme, j’ai pris des cours de conduite automobile, je chevauchais déjà depuis 2 ans ma RD 50 Yamaha. Pas la RDLC, laquelle me faisait rêver. La longue et rectiligne RD à refroidissement à airs. Des jantes à rayon, un gros phare rond. 90 kg d’acier pour un petit moteur gonflé à bloc.
Une fois posté au volant, j’ai immédiatement perçu un pb: pourquoi celui-ci n’était-il pas fixé au milieu? Par quelle logique étrange avait-on conçu ce véhicule par ailleurs si laid. La véritable auto, selon moi, c’était la Formule1. Une place, un volant, la route là juste devant. A quoi bon un passager? Ou alors qu’il se câle derrière. Mais je trouvais les F1 très vilaines, par rapport aux modèles de mes 10 premières années.Sur ces ancêtres, le pilote avait un casque jet à visière, le ciel au-dessus de la tête, et de gros pots d’échappement chromés à l’arrière. Bref, c’étaient des motos à 4 roues.
Le permis auto était une idée de mon père. La moto, c’était fini pour moi. A jamais. Il me l’avait bien dit que c’était dangereux. La voiture, au moins, c’était utile pour trouver un métier. Bof, mon métier sera loin et je devrai prendre le train. Donc, j’ai eu une voiture. Une Fiat Panda d’occasion, puis une Uno d’occasion. La deuxième a fini pulvérisée par un père de famille qui m’a grillé le stop. Il me faudrait attendre 20 ans de plus avant de pouvoir m’acheter une voiture qui me plaisait vraiment: un…Suzuki Samouraï. C’était une marque de moto, et cela ressemblait à mon premier 4X4 téléguidé.
Certes, la moto est dangereuse. J’ai des amis qui sont morts à 20 ans, le samedi soir…au volant de leur 205 GTI ou de leur Polo décapotable. Il est vrai que, de mon côté, j’avais eu mon accident avant tout le monde. J’étais calmé. Tout avait commencé parce que j’avais envie de pisser et que j’étais pressé de rentrer. Une voiture pointait le museau sur la droite du carrefour. Je pouvais passer. Elle avait toujours son clignotant, donc elle allait tourner à nouveau à droite et se retrouver devant moi. Je n’aurais plus alors qu’à la dépasser. mais elle a continué tout droit. Je tentais de la déborder par la gauche mais elle était déjà trop engagée. J’ai eu un étrange réflexe. Au lieu de freiner au maximum, j’ai mis les gaz. Le choc fut très soudain et violent. PAM! J’ai volé en apesanteur, mon pied a tapé le capot de devant. J’ai fait une pirouette au-dessus de la voiture, et me suis soudain retrouvé allongé les bras en croix sur l’asphalte, les yeux rivés au ciel derrière l’écran de mon intégral blanc. J’étais vraiment devenu un cosmonaute. Mais j’allais finir dans un fauteuil roulant, à vie. Or il n’en fut rien. J’avais le gros orteil cassé, et la RD rentrait désormais sans problème dans le coffre de la Fiat familiale.
A 8 ans, j’aimais aussi me déguiser. Je ne savais pas encore à quel point cela influencerait mes tenues de motard. Je vivais en permanence avec un déguisement: au-dessus de mes vêtements d’hiver, au-dessus de mon pygama. La seule exception, c’était quand venait la pluie. Mais là j’avais le plaisir d’enfiler un poncho, un K-way, une casquette imperméable, bref, une panoplie d’accessoires de pluie. Et j’avais aussi mon propre parapluie, interdit de l’ouvrir dans la maison, ça porte malheur. J’aimais beaucou ma panoplie de cow boy, et spécialement l’option Zorro, avec le masque. Il y a eu le chevalier, le pirate, Robin de bois (plus tard, je découvris que mes ancêtres venaient de Sherwood!), et le militaire, avec la casquette kaki vissée sur la cagoule de laine en hiver. J’avais aussi la tenue de cosmonaute, avec des renforts de coton boudinés aux coudes et aux genoux. Ah! Le cosmonaute! Le casque à visière blanc! Il était relié à des gaines de respiration et je passais de heures ainsi, à regarder le monde derrière un écran de buée. L’uniforme de policier avait lui aussi mes faveurs. J’opinais du képi, et surtout, parfois, j’osais m’aventurer hors du square pour siffler violemment les amoureux avec mon instrument de service. Quand on a 8 ans,les amoureux sont une espèce à la fois fascinante et ridicule. J’aurais bien aimé les verbaliser avec mon petit carnet factice mais je ne pouvais rester trop longtemps sur le trottoir, c’était interdit. De toute façon, il y avait mieux à faire à l’intérieur. Il y avait les courses de motos. C’était un rituel. Nous nous retrouvions devant un couple de bacs de ciment faisant office de pots de fleurs pour des bosquets assez malingres.Ils étaient exactement à la bonne dimension pour nous permettre de jouer debout sans avoir à nous baisser ni au contraire à nous hisser sur la pointe des pieds. Chacun venait avec sa bille et sa moto. Il y avait une ligne de départ, un parcours longuement discuté et aménagé. Chacun lançait sa bille du bout du doigt et la moto roulait ensuite jusque là. Nous avions mis au point des bruitages, et de nombreuses règles ésotériques et fluctuantes que, depuis, j’ai oubliées à jamais. Au début, les copains m’avaient prêté un véhicule. Ils avaient aussi toléré que je les accompagne avec un camion de pompier, pour assurer la sécurité. Mais, au bout d’un moment, on m’avait fait comprendre que la situation commençait à lasser tout le monde. Ma mère m’avait donc offert ma première moto. Malgré mes protestations. Elle ne comprenait pas. Elle était très jolie, qui tenait sur sa béquille latérale, avec une fourche avant articulée. Elle était vraiment plus belle que celle des camarades. Oui, mais elle n’avait pas de pilote. Quand je l’ai sortie de sa boîte en carton, mes copains étaient perplexes, eux aussi.
Ma mère a dû retourner au magasin pour me trouver un modèle similaire au leur. Un aluminium de basse qualité, très cassant. Des Guzzis, des Ducatis, des Triumph, des Aprilia ou encore des Cagivas et autres Bultaco. Un carénage à bulle, et des roulettes latérales au niveau de la béquille centrale pour leur permettre de tenir droite. Roues à rayons, garde-boues chromés et sponsors autocollants. Les pilotes sentent bon le caoutchouc. Leurs lunettes sont moulées directement sur leur visage. Seul le casque, un authentique bol traversé par une bande centrale, était amovible. Le gros jeu consistait à faire des échange pour panacher les couleurs: corps du pilote, casque, carénage. Nous avion aussi en réserve une ou deux bécanes de la gendarmerie, des Terrots avec motard en caoutchouc mou. J’adorais ces modèles. Nous pouvions faire plusieurs tours de circuit sans nous lasser des heures durant, avant ou après le goûter du mercredi. Je n’ai plus aucune moto valide. Perdues dans un déménagement? Données à une oeuvre caritative?
A 17 ans, quand je me couchais sur ma RD 50, je pensais être un Interceptor, ou un Aigle de la route. Mais en pratique, je m’appliquais à bien observer la position des petits pilotes de caoutchouc, rivés à leur réservoir, les bien calés en arrière.
Vers la trentaine, j’ai réussi à débusquer une version eighties de ces jouets, encore sous blisters, dans une vieille boutique tenue par des personnes âgées. Elles étaient étonnées de me voir acquérir l’intégralité de leur stock.
Les casques étaient des intégraux, mais l’esprit était le même. C’est là que l’idée de renouer avec la moto a commencé à me titiller. reprendre ce que j’avais laissé en plan à un carrefour, dans la carcasse de ma petite Yam rouge. A la plage, nous jouions aussi à pousser nos billes dans des rigoles et des tunnels, mais c’était avec des cyclistes du Tour de France en plomb. Mais ceci est une autre histoire.
Je pense que nous ne concevions pas de faire courir des sportives dans le sable. L’enduro du Touquet n’existait pas encore. Bien plus tard, nous irions le voir en 50 cc, et ce serait une sacrée expédition.Et mon oncle me prêterait sa DT 125 en cachette. Quelle pêche! Et il y avait aussi le mec de la meilleure amie de Maman. Un rocker. Blouson de cuir. Cheveux longs. Pas rasé. Mon père, lui, était toujours impeccable. ce gars surgissait toujours à fond à bécane. J’ai oublié le modèle et même le type. Custom? Sportive? Enduro. Pour moi c’était juste un centaure cool et accessible.
Voilà pourquoi je considère la moto comme un jeu, voire un jouet, mais au sens noble du terme. C’est en jouant qu’on apprend. Peut-être ai-je été déterminé par la société. Et j’ai aussi joué aux petits soldats, à cache-cache,et à la carabine à flêches, sans pour autant devenir agent secret ou membre du GIGN. C’est sûrement vrai. Les motos pour jouer et les jouets pour motos sont des produits de l’industrie, mais ils distillent un plaisir de liberté et d’évasion tout de même assez rare et mystérieux. Le motard se la joue. Il est sérieux à propos d’une activité somme toute un peu fofolle. Mais il le sait et il sait en plaisanter. Et ce jeu se transmet aux enfants. J’en suis intimement persuadé.
L’an dernier, j’ai emmené ma famille voir une étape du Tour de France. Les coureurs ne ressemblaient plus à mes petits hommes de plomb. Ils n’avaient pas de casquette en tissus cheap vissée à l’envers. Tout est fluo. On dirait des bio men. Par contre, juste devant nous, un motard de l’Escadron Motocycliste de la Garde Républicaine posait fièrement.
Il laissait les anglaises en mini short poser sur sa bécane avec leur bière la main. J’admirais son sa bienveillance et son cool. En même temps, il donnait des indications et surveillait tout. Je m’aperçus que mon fils le regardait fixement. Il s’est approché de la moto (désormais japonaise) pour prendre des photos. L’officier de police l’a encouragé avec bonhommie. Soudain, mon jeu d’enfant s’animait en taille réelle sous mes yeux. J’en aurais pleuré.
Le petit a dit que son papa était motard. Il est revenu comme transfiguré, avec deux exemplaires du porte-clé des 60 ans de la Garde, un motard en caoutchouc! J’ai aussi de superbes photos de la moto du tour. Mais avec mon fils, on préfère le porte clé.
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