Le bodhisattva du cambouis
Vous restez accroché à votre bon vieux carbu comme au Saint Graal? L’I.E. est pour vous un truc de martien formaté aux normes C.E.? Ce livre est fait pour vous. Et même vous auriez pu l’écrire, …si vous n’aviez pas déserté le cours de philo.
Eloge du carburateur : Essai sur le sens et la valeur du travail
Matthew B. Crawford (2010)
Trad. Marc Saint Upéry
Editions de La Découverte.
Crawford est philosophe et mécanicien moto.
Encore un qui va vous aider à trouver le bouddha qui se cache au fond de votre V Twin!
Sa voie était tracée : études brillantes, et job hyper rémunérateur dans un « think tank » à Washington : la voie royale pour devenir un roi du monde, à l’heure où l’intelligence et la créativité sont réduits au maniement des abstractions. Mais notre ami plaque tout pour monter un atelier de réparation et de préparation avec un pote. Le livre explique, ou plutôt montre, le pourquoi de ce revirement sereinement assumé.
On y découvre le monde des speed shop US, la passion pour l’intelligence de la main et la fascination pour la belle mécanique. On y apprend comment Ford a inventé un système de crédit qui obligea les ouvriers à travailler au-delà de leurs besoins. Mais pas de leçon de morale édificatrice. Pas d’opération de culpabilisation des masses consuméristes. Juste l’histoire d’un gars qui veut se poser. Elever dignement ses enfants dans l’amour. Etre à l’écoute de ses (rares) amis. Travailler tranquille. Cet ouvrage révèle l’âme de la mécanique. Comment on peut passer une heure à chercher un boulon bien précis dans de vieilles caisses. Comment une intervention peut se compliquer si votre outil vient à casser à l’intérieur de la machine alors que vous cherchiez à en extraire un écrou rouillé et mort.
Dès lors se pose le problème du travail bien fait et de sa juste rémunération. La moto est-elle prête quand on a réparé la panne ou quand on a fouillé plus en profondeur pour en déceler une autre ? La curiosité qui pousse à vérifier certains points relève de la passion du mécano, et non plus de la demande du client. Néanmoins, aucun garage standard n’aurait accepté de réparer votre vieille bécane dont les pièces sont rares, et qui ne procède en rien du diagnostic informatisé (de toute façon, les spécificités de votre engin excèdent de loin les compétences professionnelles de ce prestataire de services). Alors combien faut-il faire payer le client ? Tout est affaire de compromis.
Bien sûr, on est là dans la mouvance intello-bobo-hipster. Mais le bouquin se lit comme un roman et donne tout autant envie de bricoler notre chérie que de la chevaucher : cruel dilemme !
Pas hypocrite ni donneur de leçons, l’auteur est un type bien : son plaisir, c’est quand le client donne un coup de kick, se retourne et lui sourit avant de partir. On se comprend mieux, là, non ?
Un petit extrait, pour la route : « …le travail manuel peut même se révéler beaucoup plus captivant d’un point de vue intellectuel que tous les nouveaux emplois de l' »économie du savoir ». Retour aux fondamentaux, donc. La caisse du moteur est fêlée, on voit le carburateur. Il est temps de tout démonter et de mettre les mains dans le cambouis … «
Allons: au boulot!
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