Sous le casque

L’amour est dans ton résé.

Quand on adore un livre, il y a deux solutions : soit vous le dévorez d’une traite, soit vous le savourez un peu chaque soir en fin de journée, telle une récompense.

Avec celui dont je vais vous parler, quelle que soit la solution choisie, vous ressentirez un plaisir coupable. Et c’est tant mieux. Moto, notre amour. Vous y repenserez sur votre moto, souvent. Ce motard qui parle, c’est Paul ARDENNE. C’est lui, c’est nous.

Les bouquins consacrés aux moto sont souvent de grosses encyclopédies cartonnées avec de belles photos, toujours un peu en retard sur l’évolution des modèles les plus récents. « Motos de rêves », « les 100 plus beaux Roadsters », « Motos de légende »…Ces volumineux volumes trônent sur la table basse du salon, comme de vieilles prostituées un peu grasses et délaissées. Certains, je les ai achetés juste parce que ma moto était à l’intérieur. Et l’inventaire est toujours partiel et lacunaire. « Tiens, ils ne connaissent pas Indian ? » « Pourquoi ne pas avoir mis de Vincent ? » . Sans compter les partis pris et les graves erreurs historiques. Ce genre est en voie de disparition, car sur la toile nous trouvons les images les plus belles et les plus rares en quelques clics.

Par ailleurs, il existe une littérature plus solide, nostalgique des vraies valeurs de la route. Il s’agit là de nous transmettre un héritage, ou plus exactement un art de vivre. Je vous ai déjà parlé de Pirsig et aussi de Crawford. Road trip authentique ou quête métaphysique : les pages sentent bon le cuir élimé, l’huile qui pisse et les douloureux retours de kick.

Avec ma dernière lecture, on tape dans une autre catégorie. On est en France. Le Joe Bar Team n’est pas loin, mais il est question de dominer sa peur de la mort à moto. Il y a même une hallucinante topologie des morts à moto : les vraies et les fausses !

Avant tout, c’est une œuvre littéraire, une autobiographie évanescente dont on ne sait trop quelles parties sont romancées, ou plutôt, sublimées. Ardenne baigne dans la Castrol depuis sa naissance. Une photo assez énigmatique le montre juché sur le réservoir de la Terrot paternelle, âgé d’à peine un an. Père absent. Moto disparue. Ou l’inverse. L’auteur multiplie les indices mais brouille la chronologie. L’écriture est très claire, mais on y avance un peu comme au petit matin dans la brume avec de la buée sur un écran teinté. Il y a de la plaisanterie et de l’émotion, mais l’ensemble sait garder son mystère. Assez pour qu’on se dise que le Paulo est un sacré gaillard, assez pour qu’on soit tenté de s’identifier à lui. Ce qu’il évoque, vous aussi, à votre manière, vous l’avez déjà vécu, vous le vivez à chaque démarrage. Les bécanes ont accompagné tous les grands moments et les petits bonheurs de son existence. Entre nostalgie, phantasmes et mauvais souvenirs, on trouve des descriptions aussi froides que la notice d’un rasoir Braun, comme les précisions sur le système d’amortisseurs de la voiture qui lui est passées sur le corps un jour de déluge. Les plus beaux passages sont les hommages consacrés aux grands pilotes et à ses potes morts au coin de la route. Ainsi, il existe un petit autel qui n’a de sens que pour lui, à la sortie d’une ville, et qu’il croise en accélérant sur la roue arrière.

Ce livre est aussi une esquisse d’encyclopédie vivante de la bécane. Il a commencé sur la Terrot paternelle. Puis il a vu défiler des dizaines de motos toute son enfance : celles des tontons, celles des amis de papa. Ado, il crame ses économies pour se payer une brèle et courir les concentres et les grands prix héroïques. Il songe même à fonder un MC. Mais la moto du père était vieille. Dès qu’il a 4 sous, ce sera la revanche. Il va régulièrement acquérir les derniers modèles produits, les plus performants de leurs catégorie. Hyper sportives, enduros, custom, il les lui faut toutes. Mais comme il a commencé tôt, Monsieur est un expert en H2 et autres grands classiques. La scène de course à plus de 300km/h avec une Porsche vaut son pesant de gravillons.

Ardenne, je le connaissais déjà sans le savoir. A l’époque, j’avais un job aux Beaux-Arts du Port. Parfois, je cherchais les étudiants, en vain. J’apprenais alors qu’ils étaient en atelier avec Paul Ardenne, un spécialiste de l’Esthétique (la philosophie de l’art) et de l’Histoire des Arts. Je ne savais pas du tout l’enfer de motard qu’est ce quinqua qui, à chaque séjour, loue une bécane pour sillonner l’île en long, en large et en haut ! En bon spécialiste des sens, Paul est très intéressé par les stimuli qui frappent notre corps et notre imagination, et qui suscitent désirs et plaisirs. En philo, on appelle cela de la phénoménologie. Tu expliques rationnellement ton ressenti face à ta place dans le monde, au milieu des objets qui t’apparaissent. Avec les bécanes, notre auteur ne procède pas autrement : les regarder, les écouter, les toucher, tomber…Autant d’expériences sensorielles qui fondent notre communauté, bien au-delà du simple moyen de locomotion. Mais là, Paulo va très loin. Trop loin ? N’ y allons pas par la 4 voie : le fétichisme obsessionnel le mène à une relation fusionnelle, à la vie à la mort, avec la machine. La sensualité bascule dans la sexualité quand il est explicitement question de faire l’amour « à côté », « sur » et « avec » la moto (des adverbes qui changent pas mal la situation, hein ?). Je ne vais pas vous mentir : les pages sur le sexe et la bécane m’ont bien fait marrer, mais en même temps j’étais un peu gêné. Comme tous les motards, je couve longtemps ma chérie du regard quand je l’abandonne au coin de la rue. Un crétin va-t-il la renverser ? Va-t-on, me tirer mes rétros ? Pourquoi me regarde-t-elle partir comme cela, toute triste avec ses clignotants légèrement tombants et son gros œil de cyclope triste ? Et c’est toujours avec soulagement et avec la joie des premiers émois que je la découvre à nouveau là, resplendissante, fièrement campée au milieu des monceaux de plastique fluo et des HD qui titrent crânement leurs 50km/mois au compteur (économique la courroie, non ?). Mais le Paulo confesse, ou peut-être fait mine d’avouer, un sérieux penchant freudien pour les roues. « Quel est donc le sexe de ma machine ? » Vous permettrez que je ne le suive pas dans cette quête. Mais en poussant plus ou moins le bouchon à l’extrême, l’auteur appuie sur notre secret inavouable et inavoué. Le tabou. La question qui tue mais que personne ne veut vraiment formuler. Et si tu devais choisir entre ta moto et ta femme ? Entre le sexe et les virées ?

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Vous pourrez en discuter avec Paul l’année prochaine. Je sais qu’il va venir l’an prochain, et je vais tout faire pour le rencontrer.

Paul possède une page FB où il va une fois par an.

A peu près pareil pour son blog:http://bikersforarevolution.wordpress.com/

Et comme le livre date de 2006, je l’ai trouvé là en édition électronique: http://librairie.immateriel.fr/fr/ebook/9782081220324/moto-notre-amour

Bonne lecture, bonne route!

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