Etes-vous James Bond? Attention. Cet article est écrit par un homme né au XX° siècle. Il est donc susceptible d’être perçu comme choquant, grossier et toxique. Vous risquez d’être heurté. Rien ne vous oblige à lire tout ceci. Si vous n’aimez pas James Bond, paix à votre âme. Vous parviendrez peut-être un jour à faire interdire ses films, mais il restera gravé dans nos mémoires pendant que vous contemplerez vos avatars idéalisés, lesquels défileront dans des séries coréennes calibrées par les Networks pour ne pas heurter les Télétubbies. Mais si vous avez toujours eu plaisir à retrouver notre spectaculaire agent secret, même avec une petite dose de culpabilité, alors vous êtes comme moi : vous êtes James Bond. Et si, comme moi, vous vous êtes toujours efforcé de devenir un gentleman (« mot à ne jamais prononcer en public, ni même à penser en présence d’un enfant »), alors, de nos jours, vous êtes peut-être un peu perdu. Mais oui. Petit récapitulatif non exhaustif. Vous avez passé le permis auto car c’était indispensable au boulot et que vous rêviez aux belles voitures de Francesco Sbarro, et aussi le permis moto car c’était ce que faisaient « les hommes, les vrais ». C’est aussi ce que faisaient les femmes sexy dans Drôles de Dames ou Chapeau Melon et Bottes de Cuir (ahhhh, Emma Peel, vous futes en grande partie responsable de ma passion pour le cuir et les deux roues). Et vous regardiez les pubs du cow boy Marlboro avant qu’il ne meure d’un cancer. Cette musique ! Ces grands espaces ! Cette sauvage liberté ! Quand vous aviez envie de pleurer, vos potes vous encourageaient à résister : « Même pas mal ! » Vous avez cru au Père Noël, au capitalisme en mode Tapie (Adieu Nanard !) ou au communisme en mode Marchais, aux 30 Glorieuses des employés de bureau et aux lendemains qui chantent des ouvriers spécialisés. Mais vous avez déchanté. Le monde qu’on vous vendait a commencé à se fissurer toujours un peu plus. Le Mur de Berlin est tombé, et vos illusions sur la liberté avec. La Guerre Froide a cédé la place à la guerre de tous contre tous. C’était comme un crochet au menton. Sans ennemis fiables et identifiables, James Bond est devenu fragile, pour ne pas dire désemparé. Mais comme lui, vous vous êtes accroché au modèle hérité de vos parents. Les Baby Boomers. Vous, le futur « boomer », vous avez même procréé et tenté de fonder une famille. C’était un premier écart par rapport au Bond way of life. Mais vous avez tout fait pour continuer à emmener le petit à l’école à moto, malgré les protestations de votre future ex-wife et de sa mère. Avec le deuxième, vous avez rendu votre permis de tuer et acheté un monospace familial hideux. Vous avez aidé des gens sans vous vanter. Vous avez respecté vos ainés. Vous avez tenté d’éduquer vos mômes avec des principes, mais en bon papa-poule, en changeant les couches achetée par vous-même pendant que maman était à son cours de yoga. Vous avez parfois lutté, défilé, protesté, quitte à vous faire saquer en toute discrétion. Peut-être même avez-vous sacrifié une partie de votre jeunesse sous les drapeaux. A l’époque, c’était chiant. Mais avouez-le, vous en êtes fier. On vous a traité de « Beauf Génération » car vous cherchiez un job au lieu d’imaginer la plage sous des pavés lancés avant vous par des jouisseurs révolutionnaires de luxe. Vos enfants ont grandi, vous traitent désormais de « boomer » et réclament alors que vous pensiez que c’était le lot de vos géniteurs que vous n’avez jamais osé traiter de quoi que ce soit. Votre boss vous pousse vers la sortie car vos méthodes sont jugées obsolètes et « non conformes à l’éthique du management public des communautés apprenantes ». Votre femme est partie avec une autre femme ou un gars plus jeune que votre fils. Au passage, elle vous a raclé une sévère prestation compensatoire parce que vous avez voulu faire comme Papa et bosser dur pour poser du steak dans l’assiette, mais que cela l’a empêchée de s’épanouir dans la carrière imaginaire qu’elle a sacrifiée pour élever des enfants dont vous ne vouliez pas forcément. Après, elle s’est fait plaquer et a trouvé un job plus lucratif que le vôtre, ou un homme beau et riche, voire les deux. Vous étiez romantique et fragile, mais on vous a dressé à être dur et insensible. Voilà, vous êtes désormais un oppresseur, un salaud, un ringard qui a « besoin d’être éduqué ». Quand vous tenez la porte à une jeune femme elle vous fusille du regard. Quand vous demandez à un ado s’il a besoin d’aide il se marre. Quand vous démarrez votre moto, les gars barbus en trottinette électrique produite en chine avec des composantes qui détruisent la planète vous traitent de pollueur. Les présidents se font insulter, gifler et se prennent des graviers ou des œufs, pendant que les profs se font buter par des geeks fanatiques. Vous savez bien que ce n’était pas mieux avant mais que là, franchement, ce n’est pas vraiment terrible. Quand vous lisez ces lignes, vous ressentez le même plaisir coupable que j’ai à les taper. Je sais, ce n’est pas glorieux. Ils ont raison au fond nos gamins. On a pas mal merdé. Cependant, on aura souvent fait plus que notre possible. On a survécu à la Guerre Froide, aux shows de Maritie et Gilbert Carpentier, à l’Ile aux Enfants et à Goldorak. On a voulu changer le monde plein de fois, avec SOS Racisme, la Chute du Mur, ou avec des manifs manipulées par on ne sait qui. Et puis on a voté et payé plein d’impôts et de taxes. On a voulu, nous aussi, jouir de la liberté sexuelle : mais on s’est direct tapé le sida et les capotes. Les filles de notre génération nous haïssent. Les femmes plus jeunes nous adulent et pourtant on ne tombe pas dans le panneau. Enfin, moi pas. D’autres jeunes, qui pourtant ne connaissent pas grand-chose à la vie, se croient autorisés à juger la nôtre, juste quand nous commençons à accéder à la sagesse. On a peur pour leur avenir, et ils nous le rendent bien. Bon. La liste et longue et si je continue je vais me coller des centaines de « haters » de plus aux fesses. Comme l’écrivait Baltazar Gracian y Morales dans Le Héros, il ne faut jamais se faire d’ennemis gratuitement. Je ne dis pas que j’ai pensé ou vécu l’intégralité de tout ceci. J’essaye juste d’écrire et de décrire ce qui traduit la perplexité de pas mal de mes contemporains quand j’observe leur parcours : des gars et des filles supers qui ont vraiment voulu être des élèves pas trop chiants tout en s’amusant un peu. Et oui des femmes aussi. Parce que je ne suis pas un vrai macho. Et si vous m’avez lu jusqu’ici, sachez que j’aurais pu écrire une bonne partie de ce texte du point de vue féminin, même si, de nos jours, on aurait voulu me l’interdire sous prétexte que je suis juste un petit mec. Ecrire, c’est se mettre à la place de la pensée de l’autre. Une écrivaine peut créer un personnage masculin et inversement. La créativité artistique était déjà consciente des problèmes de genre, voyez-vous. Elle permettait de prendre un point de vue autre pour se reconnaître dans la différence. Mais ces inepties humanistes, tout comme le respect d’autrui et la curiosité à l’égard de ses idées ou de ses coutumes, la bonté, le partage, ne sont plus guère à la mode. Du moins chez les faux intellos mous du bulbe qui ne regardent jamais les infos concernant des contrées, comment dirais-je, moins éclairées que les nôtres. Bref, si vous n’avez pas cliqué vers un autre site, et si vous ne vous sentez pas « offensé » par un constat qui n’est pas forcément le vôtre, alors il y a de fortes chances que vous ayez grandis avec Bond. James Bond. Et, je l’affirme à nouveau, j’ai le toupet de prétendre que nous avons un peu de James en nous. Lui, il a traversé ces époques. Il s’est toujours adapté, et il est toujours resté lui-même. Le personnage de Bond, accusé de sexisme, voire de viol, est au centre des polémiques culturelles et politiques du moment. Mais il l’a toujours été. Bond souffre en silence et sent le souffre. Il bosse, il jouit, il bute. Il doute aussi. James est un gars austère qui évolue dans un décor bling-bling. Mais il fait semblant. C’est un espion. Il se tape des canons et flingue en silence. Il a une mission. James a tous les défauts. Mais, outre son courage, son charisme et sa ténacité, la qualité qui prédomine en lui, peut-être la seule, c’est sa loyauté. Ce type trompe toutes les femmes depuis que son Grand Amour (joué par Diana Rigg, et oui !, la boucle est bouclée !) s’est prise une bastos sur une route de montagne, juste après leur mariage. Toutes ? Non. Il n’en respecte qu’une, Sa Majesté la Reine. Il est à son Service exclusif, ne l’oublions pas. Ce n’est pas du patriotisme. C’est, de la part d’un orphelin, un gros Œdipe reporté sur La Mère de tous les anglais, elle-même fille de la Queen Mother : la Reine Elisabeth herself ! Or, cette dernière ne vivra plus encore très longtemps. Comment alors croyez-vous que cette famille pourra tenir encore sans elle ? Et James Bond risque bien de disparaître avec eux. Trop ceci ou pas assez cela. Jamais en phase avec les caprices d’une époque qui juge plus qu’elle ne crée. En attendant, ce dinosaure est toujours là, même pas sous perf. Juste gavé de testostérone et tenaillé par des complexes vite étouffés sous le Martini, le sexe et les courses poursuites. Toujours copié, mais jamais égalé. Bond est kitsch, violent, glamour, classe, grossier. Son univers est exotique, bling-bling, traditionnel et secret. Les herzats ont tout tenté. Cela leur a même permis de devenir à leur tour des franchises. Plus technologique avec Mission Impossible. Plus improbable avec Klingsman. Plus motorisé avec Fast & Furious. Plus sexy, plus réaliste, plus exotique. Il aura toujours manqué, pour surclasser le modèle, ce petit « je-ne-sais-quoi », comme disait le philosophe Jankélévitch. Ce n’était tout simplement pas des James Bond. Tout a été écrit sur le personnage de Ian Fleming. On a tout dit sur sa filmographie, son look, ses montres et ses voitures. Je ne vais donc pas en rajouter. Le dernier opus va finir par sortir, à chaque fois retardé par la crise sanitaire. James est moribond, comme le cinéma. Mais il est immortel. Et je peux dès à présent vous annoncer que mes posts à venir traiteront d’un sujet quasi vierge du point de vue critique : James Bond et les motos ! Oui, je sais. Comment ne pas y avoir pensé avant ? Je me suis tapé tous les films depuis le début. C’était le confinement. Je n’avais que cela à foutre. J’ai fait une recension, à la minute près, du moindre plan où apparaît une bécane. A chaque fois, j’ai cherché à l’identifier et à la documenter. James est un sacré motard, mes ami.e.s (c’est comme ça en écriture inclusive ?). J’ai encore un ou deux Craig à visionner, mais je peux, dès que les affres du monde du travail m’en laisseront le temps, commencer à vous livrer le fruit de mes recherches. Les XT 500 de « For your eyes only » ! La poursuite avec la R5 dans « Never say never again »! Vous me suivez ? Je ne vous parle plus de nostalgie, là. Je vous parle d’anthologie ! Et, en apothéose, nous commenterons, quand tout le monde l’aura « spoilée », la scène démentielle qui figure dans la bande-annonce, euh, pardon, le « trailer» du dernier des Craig, plus crépusculaire et flamboyant que jamais, et qui s’est tant fait attendre : Mourir peut attendre. Jeunes, vieux, aliens, femmes, trans, hommes, no genre, hétéros ou LGBTQIA+, tremblez : James Bond enfourche une moto ! Suivez-nous:
Copiez-collez cette URL dans votre site WordPress pour l’inclure
Copiez-collez ce code sur votre site pour l’y intégrer