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Une montre café racer - Claymotorcycles
Une montre café racer française…ou presque. C’est ce que je me suis offert à la fin du mois de Juillet. Certains achètent des montres pour lire l’heure. Pas moi. En effet, je portais déjà des montres en plastoc dénuées de mécanisme bien avant de savoir lire l’heure. Et j’ai gardé le pli. D’ailleurs, je confesse une certaine phobie des chiffres, qu’ils soient arabes, romains ou grecs. De ces peuples, J’ai aimé les philosophes, parfois même dans le texte. Mais pas leurs mathématiciens. De toute façon, Pythagore était un chef de secte. Il pensait que le monde est régi par un lien magique à des chiffres. Quand il a découvert l’irrationalité de Pi, il a interdit à ses disciples d’en parler. Ils n’avaient même pas l’autorisation de parler dans le noir, de toute façon. Ni même de manger des fèves. C’est dire le genre de type borné. Tu devais l’écouter délirer pendant deux ans planqué derrière un drap avant de pouvoir espérer l’apercevoir. Encore pire que les interventions télévisées de Mitterrand ! Le pire c’est que l’avenir allait lui donner raison. Personne ne sait si l’univers est crypté mathématiquement. Mais notre économie et notre organisation socio-politique sont complètement régies par des algorithmes, des courbes, des 0 et des 1. Alors quel est donc le rapport avec les montres ? Et avec les motos putain ? J’y viens. Tu es trop pressé. Faisons un détour par le passé pour mieux comprendre le présent. J’ai lamentablement loupé un bac scientifique. Il m’en est resté une réelle admiration pour les savants, les machines et les inventions. Ensuite, j’ai brillamment réussi un bac littéraire. Je n’ai même pas eu besoin du coronavirus. Voyez-vous, mes amis gentils lecteurs et jolies lectrices, il se trouve qu’un gars comme Pascal (« Blaise » de son prénom ; pour résumer, son blaze n’est pas « Blaise » mais « Pascal ») maniait aussi bien les chiffres, que les mots et les mécanismes. La plus belle synthèse de ce don extraordinaire, c’est la Pascaline. C’est la première machine à calculer mécanique. Il l’a inventée pour aider son père à percevoir les impôts. Et au passage, il a inventé le marketing et la pub pour vendre son dispositif à d’autres clients. Ils en exposent plusieurs modèles au CNAM à Paris. Cette vitrine est pour moi une apothéose. Au XVII° et XVIII° siècle, le must de la technologie, c’est la montre. Enfin, les horloges surtout. Je pourrais vous dresser rapidement le tableau historique des machines à mesurer le temps qui passe. Mais un type l’a déjà fait à merveille. C’est Ernst Jünger, dans son fabuleux Traité du Sablier. Pour faire bref, les horloges ont changé la face du monde quand elles sont devenues mécaniques. Finies les clepsydres et autres gnomons. Désormais, l’homme pouvait mesurer le temps indépendamment de la nature, jour et nuit. Mais ce n’est pas tout. Il fallait encore que cette mesure puisse devenir mobile. Un truc de militaires. Rien de tel qu’un gros oignon autour du coup pour synchroniser une charge de cavalerie. Comment sortir de la tranchée au bon moment sans montre au poignet ? Comment conquérir un record de vitesse sans chrono ? La montre est un truc de fous furieux. Elle nous a livrés, pour le meilleur comme pour le pire, au culte de la vitesse, à la fureur du métal en fusion lancé en ligne droite ou en piqué. Tout motard se doit de posséder une montre : pour ne pas oublier de ne pas la regarder. Si je regarde ma montre à moto, je deviens un homme pressé. Je ne regarde plus la route et ses dangereux usagers. Je prends des risques idiots. Je n’apprécie plus ma montre, ni ma moto. Mes machines deviennent des moyens, et donc des obstacles entre mon petit égo et le mirage de l’immortalité. Le secret, pour être ponctuel, est de ne point être pressé. Il suffit, pour y parvenir, de se ménager de l’avance sur un éventuel retard. Quand je démarre ma moto, je regarde ma montre pour bien m’assurer qu’elle est belle et assortie à ma tenue et à ma bécane. Je suis en avance. Je peux mourir à tout moment. Soyons prudents. Si les gens pressés se comportent comme des crétins et des goujats, c’est leur problème. Je veux juste kiffer et vivre dignement. Montrer sa montre aux gens pour signifier qu’on est pressé, c’est d’une vulgarité abyssale. Pour voir ma montre, il faut déjà partager avec moi une certaine intimité. A une époque où nous vivons masqués avec l’heure intégrée au Smartphone et aux écouteurs, ma montre en dit long sur moi, sur mon visage, sur mon life style, sur ma façon de considérer les gens. J’ai tellement de montres que je ne règle plus la date. Quel luxe ! Mais quel jour sommes-nous ? Quelle question incongrue quand nous étions confinés ! Robinson voulait quitter la rigueur industrieuse de la société britannique. Mais, à peine était-il rescapé de son naufrage, qu’il se mettait à tenir un calendrier. Quel con ! Même après mes montres factices d’enfant gavé de sucreries, mon oncle a tenté de m’apprendre à lire l’heure. Rien à faire. Par contre, ma grand-mère me donnait de vieilles mécaniques aux rouages usés et aux ressorts à bout de souffle. Quel plaisir de les ouvrir, de les démonter, de tenter de percevoir leur mystère. Car, voyez-vous, nous allons tous mourir. Les papes du trans-humanisme prétendaient le contraire. Mais c’était avant qu’un petit virus ne grippe le système. La moto est cette machine qui me fait sentir vivant mais fragile. La montre, c’est l’illusion de la maîtrise du temps. Un grand philosophe français au nom anglais (comme la montre dont je suis censé vous parler), Henri Bergson, a bien montré que la question de l’heure était une invention des hommes pour se prendre au sérieux. Donner l’heure avec précision nous a permis de dominer cette planète à outrance. Mais pourquoi ? Pour Quoi ? Dès 1932, Bergson écrivait dans Les Deux Sources de la Morale et de la Religion, que, si nous ne faisions rien d’autre que de lire l’heure au lieu de nous demander si nous étions bien, l’humanité niquerait la planète et nous irions tous ensemble dans le mur. C’est un gars ivre de moteurs thermiques qui t’explique cela. C’est paradoxal je sais. Je fais comme je peux. Je suis un homme de l’ancien monde. Je suis né dans les années 60. Trop étroit d’esprit pour renoncer à la fureur de la vitesse, je tente tout de même de ne pas être trop malheureux, pas trop toxique. Je sais que les montres exercent sur moi la même fascination que les motos. Et je tente de maîtriser cela. Et ce n’est pas facile. Trop compulsif. C’est pour cela que j’ai plusieurs motos et plein de montres. Pour noyer le poisson sûrement. Je n’ai pas de véhicule électrique. Pas de montre connectée. Je suis trop « steam punk » pour ça. Nostalgique d’un avenir qui ne s’est jamais produit et n’adviendra jamais. Un dinosaure hypnotisé par la météorite qui va lui éclater la tronche. Je tenterais bien la moto électrique. L’accélération On/Off doit être cool, tout comme la balade silencieuse sur une route de forêt. Mais les batteries polluent, elles aussi. Et l’électricité qui les anime…Et puis comment renoncer à ce cœur de métal qui bat fébrilement sous mes …sous mes jambes ? Voilà pourquoi ma rébellion pathétique consiste à changer sans cesse de montre sans jamais lire l’heure. Je me demande encore pourquoi je continue à mettre mes garde-temps (quelle belle expression prétentieuse !) à l’heure. La société a organisé quantité de piqûres de rappel pour nous obliger à être à l’heure. Notre journée est rythmée par des sonneries, et autres alarmes, messages, appels, rappels et notifications…Faudrait vraiment être con ou paresseux pour oublier d’être à l’heure au boulot ! Nan. C’est pas ça le temps qui passe. C’est pas l’heure qu’il est. C’est pas ça. Le temps qui passe, c’est ton quartier qui s’est bétonné, c’est ta ville où tu ne connais plus personne, c’est la femme que tu aimes et qui t’aime qui meurt avant toi. Là le temps s’efface. Il s’arrête. L’éternité fait vraiment souffrir. Tu es hors du temps. Tu en chies. Et puis le temps passe quand même. Ce sont ces jours de boulot sur un moteur. La patience. Ce sont ces kilomètres avalés, encore et encore, les yeux fermés parfois, et puis toujours en éveil finalement, résolument. Ce sont tes mômes chéris que tu mets à jamais dans l’avion pour les livrer, les uns après les autres, en pâture à un monde plus incertain que jamais, pour le meilleur, oh pitié, et pas pour le pire. Le temps qui passe, c’est que tu rames moins vite, que certaines blagues ne te font plus rire. Le temps qui passe, c’est le kilométrage de tes machines qui devient canonique. Ce sont les amis disparus. Ceux qui sont toujours là. Et tu es là pour eux. Et là tu passes un sacré bon moment. Tu es heureux même. A nouveau une faille d’éternité. Si brève et rare qu’il faut la savourer. Le temps, c’est ce qui se passe. C’est ta façon d’aborder tout ce bordel. Ton art de vivre et donc de mourir. Je m’en fous de l’heure qu’il est. Je veux de l’éternité. Et le prix à payer pour un peu de bonheur, c’est de la vilaine souffrance, elle-même éternelle. Car parfois le temps s’arrête à nouveau subitement. Tu sers ta fille dans tes bras. Elle pleure. Elle part pour longtemps. Là le temps prend tout son temps. C’est un gouffre sans fin. Tu fais le mariole pour détendre l’atmosphère. Mais tu sais que ce moment là est une faille d’éternité. Soudain tout le passé te revient au visage. Et tu retournes à ta moto là-bas dans la nuit, sur le parking. Et tu t’effondres comme une merde. Et c’est la vitesse qui va te sauver. Accélérer. Niquer le temps. Foncer face à la pleine lune. Des aiguilles au poignet. D’autres aux compteurs. Et une grosse dans le cœur. Ainsi passe le temps. Et puis tu rencontres Cette Femme. Elle n’est pas du même métal que celles que tu as déjà vainement tenté de réparer, ces quelques vieilles montres essoufflées. Parce que c’est toi que tu tentais de réparer. Mais les blessures du temps sont irréparables. Irréfragables. Elles n’étaient pas méchantes, ces jolies femmes. Elles recelaient juste trop de complications. Elles tournaient en rond, comme des mécaniques livrées à elles-mêmes. Des automates dénués de spontanéité. La spontanéité, c’est une réponse immédiate et parfaitement adéquate à une question qui n’a pas encore été posée. C’est la forme que prend le bonheur quand aucun souhait n’a été formulé. C’est le sourire enfantin de cette femme qui ne te demande pas l’heure. Elle veut juste s’assurer que tu es bien. Elle ne regarde pas un écran mais tes yeux qui se perdent dans les siens. Elle te dit qu’elle a bien une Rolex. Un modèle pour homme. Elle l’aime bien mais ne la porte pas. J’ai déjà connu une femme qui possédait une Rolex pour homme et ne la portait pas. Mais elle se l’était faite offrir par vanité, il y a bien longtemps. Il s’est avéré que c’était une menteuse doublée d’une menteuse. Vous rappelez-vous, ce Président de la République qui vantait la Rolex comme signe de réussite sociale et qui de nos jours, ayant épousé une milliardaire, dédicace son best seller dans les galeries d’hypermarchés corses? Je ne fais pas de politique. Trop chiant. Par contre, j’aime les montres, et il a fait grand tort à la marque suisse. Rolex, c’est quand même un vieil ADN voué à la performance et à la précision et non au bling-bling. Ce n’est pas la Rolex le problème, mais celui ou celle qui la porte, ou pas. Il n’y a pas vraiment de mauvaise moto, ou si peu. Il y a surtout trop de piètres pilotes. Cette femme si différente dont je te parle, elle, a commencé par porter une Rolex. Puis, dans...
Clay