VFR Saga Episode 1 : le garage.

Ainsi commence donc le feuilleton tant annoncé, la VFR Saga Episode 1 : le garage. Une moto digne de l’Empire Contre Attaque…ou d’une boîte de  Playmobil System, c’est selon.         J’ai passé un dernier coup de chiffon sur le splendide cadre alu du VFR RC 24 F de 1986. Le soleil renvoyait l’éclat nacré du vieux carénage dans mon œil mouillé. Ne pas se mettre à chialer. Plus maintenant. Le moment est trop bon. Un an. Un peu plus même. Je ne savais pas si c’était cette satanée motocyclette japonaise qui revenait de loin, ou si ce n’était pas plutôt moi-même. Les rêves d’enfant. Les cauchemars d’adulte. L’asphalte. Ceux qu’on a perdus en route. J’ai jeté le chiffon graisseux sur une vieille chaise de jardin encore plus déglinguée que moi. Déjà, les copains se lavaient les mains ou grimpaient les marches de l’escalier. Ils quittaient joyeusement l’atelier pour prendre un verre. Midi. Jean-Marc avait personnellement ajusté le silencieux gauche. Il avait vérifié que j’avais bien fixé le cale-pied passager et tendu la chaine. Le plein était fait. Ça avait bien fait marrer tout le monde que je tente de faire démarrer le 7 Cinquante avec un résé quasiment vide. La batterie était chargée. Le moteur ronronnait comme une petite crapule prête à sauter au cou du premier venu. «  Je peux la sortir Jean-Marc ? -Bin oui, ça serait p’têt pas une mauvaise idée, tiens !  -Ah, ok. » J’étais un peu abruti. On y était. Un an à s’user les yeux et les bras sur cette machine. Un an à ronger cet os offert par la providence et subtilement proposé par mon pote Jean-Marc. Pour passer à autre chose, ou plutôt pour continuer. Occuper son esprit à ressusciter la machine pour laisser partir une âme. Occuper ses mains sur de la fonte  pour cesser de palper les murs dans le noir à la recherche d’un fantôme. J’étais au stade qui suit précisément celui où on n’osait plus trop y croire. Ce sale stade là, c’est une fois bien avancé dans la restauration, quand on s’était aperçu que j’allais devoir changer le T de fourche, ou une jante, oh et puis non, ce n’est pas compatible avec l’axe d’origine.. A chaque fois, l’espoir avait été mis à rude épreuve face à des découvertes inattendues. Une pièce cassée ou manquante. Toujours au moment où je pensais pouvoir sortir la moto. La démonter. La remonter. La démonter à nouveau. Pour la remonter encore. Mais il n’est pas droit du tout ce demi-cadre arrière !?! On re-démonte tout ! On tombe le faisceau , on change la serrure (bien entendu profondément rivetée par des ouvriers japonais dopés au Culte de l’Entreprise)  et on adapte les cale-pieds alu et les clikos arrière. Et bien entendu on tombe alors sur des soudures atroces infligées pour rien par un débile des années 90. Alors on ébarbe ces bavures dégueux à la meuleuse, et on remonte le tout. Et on relativise aussi. La patience. Y a pas mort d’homme. Cette moto peut attendre. J’en ai deux autres. Et puis, n’est-ce pas l’instrument de mon suicide annoncé à 230 km/h que je monte boulon après boulot ? Il avait fallu réfléchir. Qui a dit que mécano était un truc pour les débiles ? Les jolies clientes qui me méprisaient dans ma combinaison crado ? Ou celles qui me dévoraient des yeux comme si j’étais une sorte de bête humaine ? C’était assez marrant de s’imaginer qu’elles ne savaient rien de mon pedigree intello. Retour à la clé de contact, là, sous mes yeux embués. Non, cette fois, il n’y avait plus une ombre à ce tableau de bord tout droit sorti d’un vieux dessin animé des Transformers. Le VFR était roulant. « C’est beaucoup d’émotions quand même… » J’attrapais l’épaule de Jean-Marc. « Toi tu sais, hein. » Il me sourit avec pudeur et affection. « Sors-moi cette mob  et allons prendre un godet pour fêter ça ». J’enclenchai la première. Moi et ma belle dame blanche on a lestement gravi la pente du béton défoncé par les gommes et les intempéries. Ce n’était pas le sentiment de traction habituel des roadsters coupleux. Là c’était plus un sentiment d’envol. J’ai tourné au coin de la rue, pour faire demi-tour et me hisser sur le trottoir, en face du bar. J’étais en combinaison crasseuse, sans casque ni gants. Je me sentais libre, comme quand je pilotais ma 50 autrefois. La moto cala contre la margelle. . Impossible de démarrer à nouveau. C’était presque rassurant. J’allais pouvoir continuer à trimer sur la moto. Je ne serai pas confronté à sa nouvelle vie. Ni surtout à la mienne ? Olivier traversa la chaussée avec un ricanement moqueur. Toi tu aimes vraiment rouler sans essence. J’avais laissé le somptueux  robinet du réservoir en position « Off ».  La bécane rugit à nouveau et les deux silencieux d’origine portèrent bien mal leur nom.  Je la posais sur la centrale, réinstallée après qu’un propriétaire l’eut mise au rebus pour libérer le passage d’une affreuse ligne 4 en 1. Bah, j’étais soulagé tout de même au final. Je me mis, moi aussi, à rire de bon cœur.   C’est que la restauration de ce vénérable bijou nippon, c’est toute une histoire. J’ai passé plusieurs années sur ce blog à vomir le plastique. Et me voici en pamoison devant un petit bolide tout droit sorti d’une boite de Playmobil géante. Une meule de 1986. Un croisement d’un épisode de Mask avec Top Gun, sur fond de « Kiss » de Prince. Un truc de Young timer.  La séparation du groupe Téléphone. La mort de Balavoine. Les 205 cabriolets Pininfarina. Un condensé de tout ça dans un 4 cylindre en V suspendu à son demi-cadre d’aluminium comme un 95 bonnet E à sa gaine de dentelle. Et ces lignes !  Honda voulait offrir aux motards l’équivalent sur deux roues d’une Porsche, pour allier les performances sportives et le confort du Touring. Le secret mécanique d’une telle alchimie ? Il est logé au creux de cette monture mi-ange mi-démon. Pas de chaîne primaire. A la place, une cascade de pignons. Quand je l’ai retirée du bloc, je l’ai brandie comme un trophée. J’avais l’impression d’avoir touché du doigt l’Allspark d’ Optimus Prime !         Je vous épargne l’historique de cette bécane mythique. Je fais l’impasse sur les querelles entre les adeptes de la version I, les mordus de la version II et les aficionados du mono-bras du RC36. J’ai la première version, brute de décoffrage, avec quelques emprunts à la version II. Oui, j’ai un système anti-plongée, oui j’ai de drôles de petites gommes montées, notamment, sur une jante minus à l’avant et oui j’ai un bon double bras oscillant traditionnel.  Et quand le tableau de bord s’illumine dans la nuit, c’est Versailles en mode Simon (jeu électronique lumineux des années 80 que tu ne peux connaître, jeune Padawan.) Je vous épargne aussi les étapes de la remise en route. On va aller à l’essentiel. Au début un RC24 II. Année 87. Etat pourri. Stocké dehors dans une cour. Pas roulé depuis des années. J’ai tout démonté et tout graissé, du carénage miteux aux gicleurs bouchés. Je n’ai pas de bac à ultrasons. Mon chien n’aime pas ça. Alors j’ai tout nettoyé au gasoil avec un petit fil de cuivre. Old school. Le bain ultra sons est né en 1950 et il s’est démocratisé en 1970. Mais au garage on n’en a pas. Alors j’ai bossé dur et subtil jusqu’à voir le ciel bleu dans chaque petite lunette de cette rampe de cabus démoniaque.   Et puis je ne sais plus ce qui a déclenché la décision. Le T de fourche fendu  peut-être ? Je ne voulais pas le dégraisser. « C’est en-dessous, Jean-Marc,  et personne verra rien. -Tu me dégraisses ce truc ! » -OK Boss ! »   Moi je dis merci aux artisans qui ont 40 ans d’expérience mécanique et qui ne diagnostiquent pas les pannes avec une application de Smartphone et une Game boy pour décérébrés du bulbe. Sous la graisse des 30 années de route, elle était là, la fissure qui vrillait l’alu vénérable. Des semaines d’attente pour avoir le T en provenance d’Allemagne. Bref, si ce n’était que cela. Mais plus on avançait dans le démontage, plus on tombait sur des vices cachés. Pourtant, j’avais presque tout remonté quand le verdict est tombé. « Elle est trop pourrie. Tu vas tout me démonter à nouveau. Tu ranges toutes les pièces dans des caisses au fond de la remise. Ça nous servira pour refaire le modèle 86 qui va rentrer à l’atelier et que je t’offre à la place. Là, tu regardes tes ongles noirs de graisse, tu as envie de pleurer. Et puis tu admets la dure réalité de la mécanique et tu dis humblement « Merci mon ami ». Du coup, ayant démonté et remonté intégralement deux VFR 750 du début des années 80, après avoir passé des nuits à relire dans ma tête la bible du constructeur en verlan et en version originale nippone , je peux me vanter de connaître un peu cette moto. Pas autant que mon Jean-Marc. Il était chef d’atelier chez Honda quand ils ont sorti la bête. Lui, il peut te la remonter les yeux fermés. Et il sait des trucs qui contredisent les données en ligne du service pièces détachées de la concess. Quand je suis allé là-bas, leur ordi ne reconnaissait pas mon numéro de série. Il fallait juste taper l’année de sortie ! Bref, les mois ont passé. Sur le « nouveau » modèle plus vieux d’un an, j’en ai bavé tout aussi bien. Quand je resserrais un écrou, je le tartinais invariablement à la graisse. Je me disais que mon successeur me remercierait. Je sais c’est un peu con. Avec les normes euro et l’avènement financièrement et politiquement orchestré de la batterie sans âme qui pollue aussi à sa manière, qui voudra encore de cette vieille bombasse à carbus sans fards ni phares à led ? Mais j’aime l’idée que cette moto est plus un patrimoine motocycliste à transmettre à la génération suivante qu’un jouet pour ado attardé. Voici ce qu’on m’a laissé :   Voilà ce que je vais léguer :   Et puis voilà, je l’ai sortie du garage. J’avais la tremblote. Comment lâcher prise et piloter normalement une machine qui n’avait pas été pensée à l’origine comme un puzzle rare et fragile ? Nous aurons la réponse dans le second volet de la VFR Saga : la route ! En attendant, mes poulettes et mes poulets, faites-vous plaisir sur la route et dans votre lit, et n’oubliez pas de mettre la gomme ! Et allez donc me réviser ça : https://claymotorcycles.com/2018/10/un-vfr-peut-en-cacher-un-autre/     Suivez-nous: