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Salut motard et scooters - Claymotorcycles
Sur les forums, une question revient de manière récurrente quant au salut motard : faut-il saluer les scooters ? J’ai trouvé la solution ! A moto, comme au boulot ou dans la vie en général, parfois je suis distrait, concentré, ou de bonne humeur, et cela affecte la manière dont je salue, ou ne salue pas autrui. Par contre, il y a des règles, et je ne salue pas de la même manière un Prez de MC, un universitaire, ou un môme de 5 ans. C’est donc l’étude objective de ces règles qui m’intéresse ici. Quel sens a donc le fameux « Salut motard », et pourquoi les scooters en seraient-ils dispensés, ou privés, selon les cas ? Dans l’histoire des cultures, le salut est un des signes les plus anciens, peut-être le plus ancien. C’est déjà du langage. Comprendre ce que l’autre veut dire peut vous sauver la vie : ne pas confondre « Je vais niquer ta mère » et « Nous venons en paix ». Les paléo anthropologues considèrent que les mains en négatif de l’art pariétal renvoient à un code de chasseurs-cueilleurs élaboré. Le signe de la main n’a donc de sens que parce que les autres le comprennent. Il faut donc que tout le monde se soit mis d’accord sur le sens du signe. C’est déjà un problème à moto : les signes motards ne sont pas enseignés lors du passage du permis. Et quand bien même, les jeunes usagers sur faible cylindrée, ou les petits scoots avec leurs quelques heures de formation, ne savent souvent même pas que des signes existent, à part le doigt d’honneur. Sinon, c’est le malentendu. Dans certains pays, il est malpoli de ne pas éructer en fin de repas, mais c’est tout le contraire si vous déjeunez chez ma mère. Il existe un relativisme culturel autour du sens des signes manuels. Lever le pouce n’a pas le même sens selon que vous êtes grec, auto-stoppeur, plongeur ou alcoolique. Bon, si vous êtes deux plongeurs grecs alcoolos qui font du stop, vous allez vite vous comprendre. Saluer, ce n’est pas juste montrer quelque chose ou alerter d’un danger. C’est plus complexe, et plus animal à la fois. On montre qu’on existe, qu’on sait que l’autre existe, et cela doit manifester notre positionnement par rapport à l’autre, soit quant à nos intentions quand on ne le connaît pas, soit quant à notre respect de la hiérarchie, lorsqu’on évolue dans un système clanique, féodal, religieux, entrepreneurial ou même familial. Nous verrons qu’avec les cycles à 2, voire 3, voire 4 roues, la question se pose de manière de plus en plus pressante, et nous verrons pourquoi. Même chez les lapins nains, on se salue pour marquer le territoire et la hiérarchie. Balancer un jet d’urine sur son voisin n’est pas vraiment une marque de respect. L’encercler en courant manifeste votre appétit sexuel débordant, et lécher son pelage montre que vous le respectez comme un big boss. Si vous manquez à ces signes, la morsure sera cruelle, ou vous serez juste très frustré sexuellement. Chez les lapins, du moins. Pour l’aspect social du salut, il faut prendre en compte pas mal de problèmes. Faut-il saluer tout le monde ? Qui salue en premier ? Dois-je saluer quelqu’un qui m’est socialement inférieur ? Ou qui m’est équivalent mais que je méprise ? Comme pour les lapins nains, les militaires ont statué une fois pour toutes. On salue un gradé dès qu’on l’aperçoit. C’est codifié. Quand les gens se saluent, ils disent souvent « Bonjour ! » ou « Comment allez-vous ? « Pour la moto, ce problème est évacué : avec le vent, la distance et le casque, tout salut qui voudrait être perçu sera visuel. Dans L’essai sur l’Origine des Langues, Rousseau nous explique que les premiers hommes n’ont abandonné les signes gestuels au profit de la parole, que parce que cette dernière portait plus loin, y compris dans le noir. Mais pour les activités spécialisées comme la chasse, vous ne pouvez hurler « Attention ne bouge pas, tu as un tigre à dents de sabre caché derrière toi ». De même, sur la route, pas de blabla. Et pour une gestion efficace de cette signalétique, je vous renvoie vers l’excellent topo réalisé par le Repaire des Motards : http://www.lerepairedesmotards.com/detente/signes.php Voilà pour l’efficacité des signes. On salue de la tête, de la main ou d’un ou plusieurs doigts de la main gauche, ou aussi avec le pied droit, celui qui ne passe pas les vitesses et qui se voit quand on double (par la gauche, sauf dans le monde britannique ou affilié). Les saluts peuvent diverger selon les pays et les tribus. Les purs bikers font rarement un « V », lequel renvoie à la symbolique de la moto GP. Mais le sens du salut, c’est surtout le désir d’exister, le besoin de reconnaissance. Hegel, un philosophe du XIX° siècle, a réfléchi à la question dans la Phénoménologie de l’Esprit, dans le cadre de la fameuse « dialectique du maître et du serviteur ». En gros, quand un gars refuse de vous saluer, vous voulez l’exploser, car vous ne vous sentez pas reconnu comme le mâle dominant, voire tout simplement comme humain existant. Quand vous tendez la main, et que le gars reste les mains dans les poches, vous n’êtes pas vexés ? Ou quand il vous tend le poignet genre « désolé mais c’est plein de graisse, je veux pas te salir tes mains de bourgeois paresseux, tu comprends, j’ai un vrai métier utile moi » ? Ou quand vous voulez claquer un bisou à une fille et qu’elle a un geste de recul ? Mais si vous l’explosez, il ne peut plus vous saluer, et le résultat sera le même, et ça, Hegel l’a bien pigé. Par contre, si c’est un lâche qui a l’habitude de freiner au moindre virage, alors il va vous saluer de manière outrancière. Mais là, même frustration : ce n’est qu’une carpette. Son salut visqueux n’a aucune valeur. Vous voyez ou moi et mon pote Hegel on veut en venir ? Considérez-vous donc les scooters comme de vrais motards ? Des gens susceptibles d’être salués ? Le seul vrai salut gratifiant est celui échangé mutuellement entre deux adversaires ou amis de niveau équivalent et qui se respectent comme tel. Les samouraïs l’ont compris : si je m’incline en laissant ma nuque offerte, les mains le long du corps, tu peux me décapiter, An-BU San. Idem pour les chevaliers : je te tends la main, donc elle n’est pas sur la garde de ma noble épée, donc tu peux la couper. La confiance, quoi. Mais, je le répète, tout ceci était codifié avec des règles. Dans le vrai Far West, on se tirait dans le dos avant de se dire bonjour. Et les Vikings étaient bien pétés de rire avec les gens qui venaient en leur tendant la main. En boxe Française, on se salue noblement avant de s’envoyer un bon coup de pied fouetté retourné dans la rotule. En combat de rue c’est différent. Or, les motards roulent souvent en japonaises, en américaines, et ils s’identifient volontiers aux chevaliers casqués et gantés de l’Europe médiévale. Mais ils évoluent au cœur de la rue ! Dans la jungle urbaine ! Ou dans les déserts ruraux, ce qui n’est pas plus rassurant. Vous l’aurez compris, la question du scooter n’est qu’un gros prétexte. La grosse question est celle du sens profond du salut motard. Je ne parle pas du mythique « V » de Sheene, que certains pratiquent sans le savoir. De toute façon, il me semble que Churchill l’utilisait bien avant lui. Non. Il nous faut juste nous demander pourquoi nous somme si fiers et joyeux quand un autre motard nous salue. La réponse est simple : il vous confirme bien que « vous en êtes » pour de bon. Vous n’êtes pas un pauvre piéton, un rampant, un loser en caisse pourri. Non, vous êtes un putain de motard. Un enfer de chevalier du Zodiaque des temps modernes. Vous avez le permis. Vous avez une chouette bécane qui vous plaît (nécessairement plus belle que celle du gars qui vous rend le salut, et si c’est lui le prem’s, c’est qu’il adore votre meule, non ?). Vous en avez chié pour ça, et vous en chiez encore. Vous partagez les mêmes dangers (fierté décuplée, et salut encore plus risqué, pour les rares motards pluvieux). VOILA ! C’est dit ! Désir de reconnaissance et besoin d’appartenance ! Alors, on se sent pas mieux là ? Je viens de vous économiser au moins 300 euros de psy ! Ok mon coco, maintenant tu sais ce que t’as dans le casque et ce que tu ressens dans ton blouson. Mais en pratique, ça se passe comment ? Et c’est là que les choses se gâtent. La théorie, c’est un peu dur à suivre, mais on a l’avantage de s’exciter tout seul. Dans la pratique, ce n’est jamais comme prévu. Bienvenue dans le monde motard du deuxième siècle des masses. A la fin du XIX°, et dans la première moitié du XX°, c’était jouable et à peu près plein de bon sens. Personne ne se plaignait sur les forums de geignant sur le non-respect du salut. Normal : le web n’existait pas. De toute façon, les gens étaient complètement coincés et tout le monde disait bonjour à tout le monde, sauf « aux sales étrangers », et la liste était longue. De nos jours, quand un gars ne nous dit pas coucou à moto, il faut se dire que « en chine, ou sur le périph à Paris, tout le monde s’en fout. Autrefois les motards étaient rares. En croiser un, c’était se sentir moins seul. Le gars qui vous avait salué avec application sur une départementale serait celui à qui vous alliez prêter votre trousse à outils 3 km plus loin à l’ombre d’un platane. Saluer un copain, que dis-je un frère, c’était aussi chier sur le système, refuser la norme, s’imposer ouvertement comme rebelle. Ces gestes généreux et ces postures romantiques n’ont pas complètement disparu. Il y a un mois, à un rond point, Blvd Sud, j’ai ralenti pour demander d’un signe de la tête à un papa avec sa gamine avec leur trail en rade si tout allait bien. Direct, il m’a fait ‘ok » et m’a montré du doigt une substance visqueuse qui allait moi aussi me mettre au tapis. Certains courants hipsters néo rétros auxquels je suis d’ailleurs tout de même plus qu’un peu affilié, tentent de raviver cet esprit et c’est noble. Mais pour certains, cela ne devrait concerner que les « happy fews » qui édictent les nouvelles règles de style de la moto de caractère. Le papa au rond-point n’avait ni barbe soignée, ni Norton Commando repeinte au Posca, ni boots à 1200 euros. Et rien que pour ça, j’en connais pas mal qui ne l’auraient même pas regardé. C’est bien dommage. La chevalerie motarde n’a jamais été aussi nécessaire du point de vue symbolique, face à l’anonymat des normes en tout genre, et jamais rendue aussi difficile à cause du speed généré par le système. M’arrêter au rond-point pour aider ce gars en cas de problème m’aurait exposé à un grave danger. J’aurais aussi pu exposer inutilement sa gamine à se prendre plus de 200 kg d’acier nippon en pleine face. Et en cas de grabuge, les assurances se seraient retournées contre moi, sans compter avec les forces de l’ordre. Admettons que je m’arrête, ce que je fais parfois, quand c’est possible, et quand les contraintes horaires professionnelles me le permettent. Eh oui. Essayez de dire à un boss ou à un chef de service que vous avez loupé une réunion bimestrielle importante parce que vous avez aidé un motard en panne. Eh bien, si je m’arrête, donc, le gars peut me regarder avec pitié parce que je n’ai pas une Ducati, me faire signe de la main que « non, c’est bon, tu peux dégager tu me déranges là, tu vois pas que c’est important, va mendier ailleurs », et continuer à parler au téléphone avec le chauffeur de la dépanneuse que lui envoie son assurance. Si, si… Et pour les motards qui ne saluent pas, n’oublions pas que : parfois on est dans la lune, ou que le virage doit être négocié dans les...
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