claymotorcycles.com
Un VFR peut en cacher un autre - Claymotorcycles
Un VFR peut en cacher un autre. Je ne fais pas allusion au feu rouge. Là, c’est une évidence. Au milieu de la grisaille urbaine des voitures toujours plus hideuses et des motos toujours plus prétentieuses, un seul VFR éclipse toutes les autres, par sa classe naturelle (la belle avait été conçue par Honda comme la Porsche des motos de l’époque), et ensuite au démarrage, où elle peut aisément effacer les T-Max et autres bourdons inutilement bruyants. Par contre, même si la prestigieuse Honda fut abondamment diffusée, on en trouve rarement deux identiques alignées au même endroit. Non, je voulais juste rappeler à tous les amis qui suivent depuis maintenant 5 ans ma vie étrange de motard bizarre que si les occasions de me lire et de se retrouver en ligne se font plus rares, c’est justement parce que je suis au cœur de la motocyclette, et non par désintérêt ou dédain. Je reçois régulièrement de chouettes messages d’encouragements et de soutien. Et pour ça je vous embrasse fort et je vous envoie un bon réservoir de love ! Hummmmmm ! En fait, je viens de vivre une crise existentielle, partagé entre deux belles qui se ressemblent tant et qui ont pourtant roulé leur bosse de manière bien différente. En fait tout les sépare, au-delà des apparences. Une meule accidentée, mal entretenue et jetée aux éléments, avec une roue avant de 17 pouces. Ou une autre, plus âgée, avec une roue avant de 16 pouces, dans un état plus avenant. A ma gauche, j’ai le VFR F RC 24 II Carat, ultime version avant l’apparition du fameux mon-bras de 89-90. J’ai sué sang et eau durant des semaines sur cette chipie pour rien. Elle m’a lâché. Le moteur peut repartir, mais la partie cycle est si délabrée, avec tous ses vices cachés. A ma droite, une version antérieure, mais qui ne demande qu’à repartir après un an et demi de mise au rencart, le VFR F RC 24 I. Le modèle originel de 86/87. Dans les deux cas, l’accès au mythe pour quelques euros et beaucoup d’huile de coude. Les 3 M. La Meilleure Moto du Monde. Ce n’est pas moi qui le dis. Ce titre lui a été moult fois décerné par la presse et par ses aficionados, lesquels sont encore plus nombreux que les adeptes du complot anti-Illuminati. Tant qu’à me tourner exceptionnellement vers une moto de Playmobil gavée de plastoc et d’alu, autant choisir la plus distinguée. La cascade de pignons ! Les lignes élégantes et intemporelles ! Ce tableau de bord digne d’un Croiseur Impérial ! Ceux qui n’ont pas déserté FB pour Insta (moi je bouffe aux deux râteliers : c’est le même proprio, et c’est gratuit car c’est moi le produit) savent que j’ai une thérapie assez originale. Je vais régulièrement donner un coup de main dans le bouclar d’un ami qui m’aide à retaper cette jeune trentenaire à coup de botox à la DW40 et de liposuccion sous clé de 10. Ce n’est pas mon métier, et cela prend du temps. J’ai pas le temps de poster. Je bosse. J’ai une ado en crise. J’apprends le kayak de rivière. Je roule à moto tous les jours que l’Univers me le permet. Et je tente de ranimer un VFR 750 endormi depuis des années. Mais là il faut que je me pose et que je vous raconte l’affaire du VFR depuis le début. Le VFR, j’en rêvais depuis longtemps. Depuis sa sortie assurément. Mais la vie est compliquée. Ou peut-être tellement simple. A 50 balais et après avoir touché le fond, je pouvais bien m’offrir une maquette géante à monter (ou plutôt à démonter). Un jouet pour adulte qui m’occuperait les mains et reposerait un peu mon cerveau et mes nerfs. Je pensais naïvement faire un gros méchant post où on aurait vu la réussite éclatante de mon savoir-faire. Un papier chiadé avec plein de photos avant/après, avec résurrection de la Belle en apothéose. Là, je serais passé du statut de préparateur amateur à celui de restaurateur passionné, m’attirant le respect d’une communauté très pointue au sein même d’une communauté motarde déjà élitiste. En effet, les motards ne pilotent pas de pauvres voitures assistées et anémiques. Quant aux adeptes du néo-rétro, ils sont lassés des motos en plastique sans âme et veulent des engins fiables mais qui ne se contenteraient pas de reprendre les codes visuels de la Moto GP. Les préparateurs (dont hélas un bon paquet de maquilleurs saboteurs, sans compter que le vrai préparateur, à l’origine, c’est un pro qui dope la partie mécanique), eux, ne pilotent pas des machines de série dont la personnalisation se limiterait à un pauvre sticker ou à un choix de pièces proposées par des concess avides de récupération des courants à la mode. Ok. Mais tout le monde s’incline devant une ancienne. Et encore. A-t-elle été livrée dans sa belle caisse de bois, remise à neuf à grands frais par un professionnel ? Ou roule-t-elle grâce aux efforts conjugués d’une poignée de passionnés qui se prêtent les outils, l’expérience et les anecdotes ? J’étais à deux doigts du Graal mes amis. J’y étais presque! J’avais tombé la rampe de carbus et porté le moindre gicleur à mes lèvres pour en chasser le gasoil de nettoyage, usant mes yeux déjà fatigués face au ciel bleu, dans l’espoir de voir apparaîtreun cercle parfait. J’avais poncé les fourreaux, les carters et que sais-je encore. J’avais démonté plein de trucs étranges et tout rouillés. Rien ne venait tout seul. Tout était grippé, pris dans la masse, à conquérir. Il fallait toujours faire levier avec un vieux tube de fourche. Allongé dans la poussière mêlée de graisse, j’en avait chié des heures durant pour faire tomber l’amortisseur rouge, le graisser et le remonter avec ce satané bras oscillant et ses sales petites putes de biellettes qui tombent au moment précis où tu crois avoir réussi. Et puis ensuite j’avais tout recommencé, parce qu’une pièce était montée à l’envers. Au passage, je refaisais systématiquement les empreintes des vis introuvables avant que de les remettre en place, non sans les avoir badigeonnées de graisse, le tout en pensant à John Wayne dans « La Prisonnière du désert », lors de la scène du bébé (les adeptes du western classique comprendront). J’en avais chié, oui. Et plus j’avançais, plus j’apprenais. Mais à chaque pas en avant, on tombait sur une sale surprise qui retardait encore un peu plus le lancement de ce mini Titanic. Un Té de fourche fêlé ? Hum,…pas étonnant quand on voit que tout ce qui est à gauche est niqué (clikos, poignée, carénage…). Un beau carton à peine dissimulé sous les stickers, la crasse et la pâte jaunie. Qu’à cela ne tienne ! Il n’y a plus qu’à attendre celui commandé en Allemagne. Des gens qui ne plaisantent pas avec la logistique, les allemands. Sauf que quand le Té est arrivé, une fois installé de chouettes roulements de direction, on a découvert que la fourche…n’était pas d’origine. Les tubes ne passaient pas ! Ok. Parfois il faut savoir se coucher. Ce n’est pas la machine qui a gagné. C’est juste le bâtard qui nous a vendu cette pauvre moto si mal traitée. Il faut savoir arrêter les frais. Tu seras cannibalisée ma petite. Ne t’inquiète pas. Une partie de toi roulera encore et encore. Deuxième round. Une autre Belle Dame Blanche débarque dans ma vie. Elle est plus âgée que la précédente. C’est la version RC 24 I. Le VFR originel de 86/87. Celui qui est sorti quand je préparais mon bac L après avoir foiré un bac D à coups de spleen et de soirées arrosées! 1664 exemplaires produits. Comme la bière ! Ce n’est pas un signe ça ? Fini les sciences et la classe gavée de gars avec une fille qui faisait tomber son stylo pour qu’on se jette tous à terre. J’étais en Terminale L. Je faisais de la philo, et ça me rapportait gros. Je soulevais de la fonte tous les jours et je ne buvais plus. Quand je faisais tomber mon stylo, les filles se jetaient sous ma chaise. Elles me soufflaient les réponses d’interros que je connaissais par cœur. J’étais jeune. J’avais un avenir. Je n’étais même plus rebelle. Juste focus et complètement insouciant en même temps. Je me sentais fort…et éternel. On était un peu plus de trois ans après le « Retour du Jedi » et d’un an après la sortie du calamiteux Mad Max 3, « Au-delà du Dôme de Tonnerre ». Je voulais rester un Aigle de la Route. Ou un Goose. Mais mes parents, dans leur grande sagesse bienveillante, voulaient que je conduise une voiture. Beurk. Les gens se sont marrés à l’Auto-école, quand j’ai demandé si ce ne serait pas plus logique que le volant soit au milieu, pour bien voir la route, comme sur une bécane, ou à la rigueur sur une chouette monoplace de circuit. Bref, je me prenais les impératifs sociaux en pleine poire. Mais je continuais à rêver. J’étais clivé. J’aimais les motos anciennes, déjà. Mais les monstres gavés de plastique me rendaient dingue, je peux bien l’avouer maintenant. 1986. Top Gun. Vous me suivez ? Ne lâche pas l’affaire Clay. Jamais. Jusqu’à la fin. Les difficultés de la restauration allaient peut-être trouver leur solution…dans une autre restauration. Il y avait donc bien une vie après le VFR. Et c’était le VFR. Après il y a trois écoles. Les fondus de la roue de 16 pouces, les adeptes de la Carat, et les obsédés de la RC36 à mono bras. Ok, pour le néophyte, ce sont rigoureusement les mêmes 🙂 Mais il y a de sacrées différences, croyez-moi. Pourtant, je me fous pas mal des écoles. Je ne fais pas mon difficile. J’ai tant de défauts et tant à apprendre malgré mon âge qui commence à s’avancer lentement mais de plus en plus sûrement. Si le Destin met sur ma petite route une autre MILF blanc nacré avec un moteur à cascade de pignons, je savoure avec modestie ce beau moment présent. Elle est si belle. Dès que je l’ai vue, j’ai craqué. J’étais gêné parce que je ne voulais pas renoncer à la version II. Et si elle est un peu plus âgée, c’est même mieux. Si c’est pour courir après la fougue et la performance clinquante, autant aller direct chez un concessionnaire se payer une allumeuse gavée d’électronique. Un truc bien aux normes, avec plein de capteurs bien rassurants. Nan ! Moi je veux une moto qui a du caractère. Je veux de la profondeur, de l’humour et de la classe. La pureté de ces lignes ! Piloter une machine qui me comprenne et me pardonne, et que je saurai aimer et respecter en retour. Parce qu’elle le mérite. N’importe quel proprio de VFR vous le dira. Elle en a sous le carénage la diablesse. Une meule avec du vécu. L’idée que d’autres motards l’aient chatouillée avant moi dans les droites et les virages ne me dérange pas. Au contraire. Ils ont essuyé les plâtres. Ils l’ont rôdée, testée, entretenue, réparée. Peut-être même maltraitée après tout. Avec moi ça risque pas. Je me fais fort de lui donner ce que Henri Bergson appelait « un supplément d’âme ». Maintenant, c’est moi qui vais me pavaner avec mon collector sorti à 1664 exemplaires. Les gens qui ne me disent pas bonjour au feu parce qu’ils chevauchent des trucs rouges hors de prix ne daigneront toujours pas me regarder. C’est normal. Ils ne considèrent une moto qu’à partir de 4 zéros sur le chèque. Par contre, c’est moi qui les regarderai dans mon rétro, c’est sûr. Et même si ce n’est pas le cas, j’aurai la joie unique de piloter une machine dont j’aurai examiné et graissé le moindre axe, la moindre vis. Je la laisserai un peu dans son jus. La vie c’est du vécu. Les puristes sont tellement forts que leur moto, une fois restaurée, semble sortie de l’usine au Japon. Je n’ai pas envie de faire cela. Déjà, à ce stade de mon apprentissage, je n’en ai pas la capacité. Et...
Clay