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The lost trip : rouler avec la Mort. - Claymotorcycles
Rouler et écrire. Ecrire et rouler. Rouler à mort. Ecrire la mort. Contre la mort? Avec la mort? Rester vivant. Rester. Vivre. De l’avenir d’un blog moto qui ne saurait longtemps survivre longtemps dans le passé…Comment continuer à écrire quand la femme de ta vie s’est définitivement évanouie dans tes bras ? Je ne sais pas, mais je le fais. Nous avons partagé le même souffle. Jusqu’à la fin, ou presque. Cela n’aura pas suffi. Pas suffi à irriguer à nouveau ce cerveau si puissant, si fécond et qui nous a tous nourris si intensément. Mais la pensée se cantonne-t-elle au cerveau ? Je ne le crois pas. Ta pensée circule en moi mon Amour. C’est une sève éternelle et joyeuse. Elle circule aussi dans ton œuvre : tes livres, tes articles, tes performances et tes cours. Et nous avions tellement dialogué par écrit ou à l’oral, ou même par un simple regard, que, parfois, nous ne savions plus trop qui avait lancé l’idée de départ. On a bossé ensemble sur plein de projets dont les gens n’ont pas idée. On a fait de l’art avec des mômes tout démolis par la vie. On a fait de la philo avec des tout petits et aussi avec des grands. On a donné des cours de psycho ou d’anthropologie de la médecine. Des cours d’histoire des arts, desc cours d’esthétique. On a donné des conférences. On a tourné des films. On a créé des sites webs, et des pages en tout genre. On a passé tout un tas de certifications juste pour le fun. Tu auras gravi tous les échelons des intellos précaires qu’on encense après leur mort. Et même les échelons qui n’existaient pas, tu les a inventés juste pour toi. Bof. On s’en fout pas mal. C’est de l’ordre de ces grandes petites choses qui n’appartiennent qu’à nous. La vie, elle t’a volé. Mais ton aura, elle ne saurait me la prendre. Ni elle, ni les rares rageux qui veulent se hisser sur les belles épaules de la pole danseuse en gloire. Les autres, l’immense majorité des femmes et des hommes de cœur, m’ont conforté dans l’idée optimiste que je me fais de la nature humaine. Tant de messages, tant de signes d’amour. Tant d’hommes de cuir qui tremblent à l’idée de perdre leur âme sœur, ou de sœurs qui me comprennent parce qu’elles ont perdu l’homme qu’elles portent encore dans leur peau. J’ai créé des ateliers de dialogue philosophique en prison. Je fais circuler la pensée entre des gens officiellement pas très fréquentables et moi-même. Et toi aussi. Ils te connaissent. A travers mes mots ou ceux des médias. Mais ce sont des hommes, vois-tu. Et je ne peux rien leur cacher. Je ne puis juger les hommes qui sont en attente de jugement ou déjà jugés. Je peux juste les écouter. C’est déjà ça. Je sais que tu trouvais cela noble. Que tu trouvais que je gâchais mon talent à publier sur les motos. Je sais aussi que tu ne le pensais pas vraiment, au fond, et que tu voulais juste me taquiner pour me stimuler à créer et à publier, comme quand j’ai sorti mes petits opuscules de Polyen chez Mille-et-Une-Nuits. Qu’au fond, tu étais bien fière que les gens me saluent sur la route quand ils reconnaissaient mon patch. J’ai donc craqué dans la salle de classe, en prison. Complètement. Dans l’enfer carcéral, ces hommes à la fois durs et brisés, comme moi, m’ont pris dans leurs bras. Je n’en tire aucune fierté. J’aurais préféré que cela n’ait pas à se produire. Mais j’en tire du réconfort, du courage et de l’espoir. Ils m’ont remercié d’être venu et de leur avoir fait confiance. En fait, si, je suis très fier, car sans toi, jamais je n’aurais eu la force de faire ce genre de truc. L’autre jour, je suis allé chez le toubib. Un truc psychosomatique. J’ai une putain d’otite depuis le jour de ta mort. Kayak? Casque vintage? Détresse humaine? Il m’a demandé si j’étais célibataire. J’ai dit veuf. Il m’a demandé si je voulais des cachets. Je lui ai répondu que ce n’était pas la peine, puisque je me cartonnais soigneusement tous les soirs depuis ton départ. Il a regardé son étudiante stagiaire. Elle était vraisemblablement choquée. C’était pas dans le podcast de la prépa médecine. Il s’est tourné vers moi et m’a dit « Avec ce qui t’arrive, tu as bien raison ». J’ai alors songé : « Je reviendrai chez ce toubib ». Alors je n’ai rien à écrire sur les casques à la mode. Toujours pas. J’ai pourtant reçu le casque des Sons Of Anarchy. Je l’avais commandé pour notre web série. Finie la web série. J’ai bien envie de rouler avec, tiens. Et si je roulais sans casque, juste pour alimenter toutes les petites polémiques de boy scoots sur les équipements, les lois et autres conneries de gens qui n’ont pas de vrais soucis et qui s’asticotent devant leur écran? Non, je ne vais pas le faire. Ne pas devenir ce type aigris qui vomit tout et sur tout. Juste passe ton chemin Clay. Fais oeuvre de compassion. Alors j’attrape au hasard sur l’étagère du garage un de mes nombreux casques de bobo vintage et je roule. J’ai endossé mon vieux perfecto tout pourri par la pluie et le soleil. Je ne le graisse plus depuis des années. Il y avait des trous aux manches. J’ai collé un patch de Nirvana pour colmater la brèche. C’est le seul qui traînait dans une boîte de munitions de l’armée, dans le garage, là où tu t’entraînais si dur à la pole dance. Et j’ai aussi ajouté une ou deux autres niaiseries estampillées Norton ou Motörhead, que je gardais pour des occasions plus flatteuses, à une époque où ces choses-là me semblaient si importantes. J’ai mis des trucs dans un sac, un peu au hasard, et j’ai tout accroché derrière notre bon vieux Corsair de 2003. J’ai eu du mal à laisser la maison. Je ne pouvais m’en détacher. Mais je suis parti quand même. Et j’ai foncé dans la nuit. Et dans le jour. J’ai épousé les virages avec un lâcher prise que je ne me connaissais pas, la maîtrise des paramètres étant reléguée au second plan. Ton visage était toujours là en arrière fond. Mais je me concentrais sur le pilotage. Jusqu’à ce que j’oublie que je pilotais. J’ai de la place pour deux cœurs et deux pensées, désormais, dans ce cerveau tout mal connecté, et dans ce corps sans cesse recroquevillé et meurtri d’une invisible blessure. Alors je ne fais qu’un avec la machine. Heureusement que j’ai cet horizon qui file devant moi. Comment font donc les gens qui n’ont rien à naviguer ? « Aucun navire n’y va, sinon toi… » J’avais peint cette citation de Bashung sur mon cuir. Bashung dont tu m’as offert cette merveilleuse affiche détournée par les copains des Beaux-Arts : « Bashung en concert…à la Ravine à Malheur ». Prémonitions ? Non, juste beaucoup d’intuition. Intuition de la brièveté de la vie, telle que pensée par Sénèque, un gars qui a choisi de se suicider avec sa chérie. Putain, il avait les couilles lui. Ou pas d’enfants, je sais pas. Et puis on aimait la vie non ? La Vie, cette petite pupute de salope belle et si cruelle à la fois. On l’aime. Dans cette société anonyme, on n’a pas le droit d’être triste. Et faut courir après un bonheur illusoire. Moi je revendique le droit au bonheur. Le vrai. Le nôtre. Et ça tout en étant triste. Et ouais ! Je t’avais commandé des tonnes de cadeaux sur Wish. On avait rigolé : « Tu te rends compte, quand les gens meurent, les colis continuent à affluer ». Mouahis. Provocation / Dégustation. « Ubris / Némésis », comme disaient les guerriers grecs. Je dois encore me trainer chaque jour vers la boîte au lettre, dans laquelle se déversent plein de cadeaux surprise que tu ne verras ni ne portera jamais. Et ça, croyez-moi, c’est très très dur. Oui je pleure en pensant à nous quand je fais des pointes sur ma Yam. Et alors ? Et oui je me marre encore un peu quand je scotche sur place une voiture tunée qui tente de me coller au cul. Et ça gêne personne. Alors je roule. Je reste ce gamin qui se prenait pour le Gorille dans Mad Max 1. Mes rêves sont derrière moi, mais je n’oublie pas. Tout comme tes copines qui ont mis en scène la chorégraphie que tu avais mise au point pour ta compète de pole en ligne. Elles l’ont fait avec respect, avec amour, avec humour. Au fond, elles te connaissaient et t’appréciaient bien plus que tu ne l’imaginais, et qu’elles ne l’imaginaient elles-mêmes. Parce qu’elles sont comme toi : belles, puissantes, techniques mais timides. Tout comme toi, elles ne sont pas si sûres d’elles-mêmes que ne le laisseraient présager leurs talons trop démesurés pour être sérieux. Glorieuses parce que fragiles, quoi. Et moi je roule. Ou je me laisse rouler, je ne sais plus trop. Je file vers l’inconnu d’une routine quotidienne désormais barbare et insipide. Mais je ne vais pas nulle part. Je fais des haltes chez nos rares vrais amis communs. Ceux qui veulent me consoler mais qui sont, eux aussi, frappés au sceau du manque. Et ce sont de bons moments. Entre coupés d’absences de ma part. Des moments dus au fait que mon corps est bien là, mais que mon âme est ailleurs. Je tourne les yeux à ma droite, et je vois que tu n’es pas là, blottie contre moi. C’en est trop. Contre mon dos, sur la bécane, il n’y a plus que le poids de mon sac. C’est ridicule. A la station, je me suis arrêté pour faire le plein. J’ai plus de témoin de jauge. Il ne manquerait plus que je tombe en rade de carburant. Le petit gars m’interrogeait quant à l’utilité de la batterie sur mon réservoir. Celle qui alimente le phare additionnel décalé. Je me suis prêté au jeu. Parce que je respecte son sens du client et sa joie de vivre. Les gars qui bousillent leurs poumons et leurs neurones dans les vapeurs d’essence sont un vrai ciment social à la Réunion. Ici, personne n’oserait se servir tout seul. Il faut parler au pompiste. Je l’ai bien fait rigoler, avec mes gadgets étranges. Mais le cœur n’y était plus. Non, moi, j’observais ce jeune couple à la pompe juste devant moi. Chacun sa Ducati jaune. Ils s’embrassaient, très fiers et amoureux. Aucun regard pour ce pauvre ringard sur sa japonaise dénuée de peinture ou de plastique. En fait, je crois qu’ils se dévoraient tant des yeux qu’ils ne m’ont même pas vu. J’ai moi aussi connu ces instants magiques. Quel privilège ! Je les enviais. Ils étaient si beaux et insouciants. Si unis. Si parfaitement assortis et complémentaires. Et j’étais inquiet pour eux aussi. Bonne route mes amis. Merci infiniment à vous mes amies et mes amis de la route, de la pole, de la philo, des arts et d’ailleurs. Merci pour ces extraordinaires témoignages. Merci pour les mots que vous avez osé dire et aussi pour ceux que vous n’avez pas trouvés. Vous êtes des humains, des vrais, pas comme les hypocrites qui estiment être « des gens comme il faut ». Non, vous êtes tous des chics filles et des gars bien. JAMAIS je n’oublierai. La prochaine fois, je vous parle de matos, c’est promis… Et pour ceux qui se demanderaient pourquoi je suis si déprimant, on peut toujours aller voir là : Les motards ne se cachent pas pour mourir Merci de votre patience et de votre soutien. Grâce à vous et à mes proches, je m’accroche au guidon et au clavier. Je ne lâche pas l’affaire. A bientôt, maintenant c’est sûr. Clay Suivez-nous:
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