claymotorcycles.com
Faut-il rouler seul? - Claymotorcycles
Faut-il rouler seul ? Avec ou sans passager ? Ou en duo ? Ou en duo avec passagers ? Avec une bande de potes, ou en meute organisée ? La moto, c’est mieux seul, non ? Tu fais corps avec ta machine. Ton cœur vibre à l’unisson avec ses poumons d’acier. Tu deviens le bodishrawa de l’asphalte. Déjà que tu t’es tapé les bouchons au boulot toute la journée, à te tailler une voie à la hache au milieu des tarés qui confondent leur tableau de bord avec un bureau ou un salon de maquillage ! Là, c’est le soir. Ou le week-end. Mets les gaz ! File vers l’infini ! J’entends d’ici les aficionados des sorties en groupe me tomber dessus. « Clay, t’as rien compris et on t’invitera plus jamais ! ». « T’es pas un vrai motard, t’as pas l’Esprit ! Cheveux longs, idées courtes ! ». Ok. Si vous en êtes là, c’est parce que je cherchais juste un titre bien accrocheur, et que vous êtes tombés dans le panneau. Un bon vieux clicapute ! Attention : j’ai pas de sponsors et je demande rien, alors je peux bien tenter des p’tits coups de com, non ? Et puis c’est pour la cause ! Maintenant, on va pouvoir réfléchir plus sérieusement. Si je me suis posé la question, c’est qu’au début, j’étais en panne d’inspiration. J’en pouvais plus des sorties trop lentes ou trop rapides, qui échouent systématiquement autour d’un plat difficile à digérer. Tu piques du nez. Tu n’as pas le droit de boire le rhum que te propose le patron. Sur le chemin du retour, tu luttes contre la torpeur et il y a toujours un gars qui tombe en panne. Les évènements moto se suivent et se ressemblent. Salons, concentrations, sorties, apéros, compétitions, vidéos : ça tourne bien…en rond ? Un évènement prévisible et convenu en est-il toujours un ? Quant aux mesures européennes et gouvernementales pour nous plomber, elles pleuvent avec la régularité des gouttes d’acide dans un ciel post-industriel. En ville, on n’a même plus le droit de se garer ! Les blogs standards ? Ceux-là même qui m’avaient donné envie de me lancer ? Ils nous font toujours le même coup. « On veut partager notre passion ! ». Après : « Mais c’est du taf, hein, alors envoie la monnaie ». Et que je te fais la quête, à grands coups de co-founding bidonnés. Et puis, bien vite, fleurissent les bannières. Puis la boutique. Faut bien gagner sa croûte. Mouhais. Pourtant, et c’est pourquoi j’ai volontiers intégré la VDM familly, le seul webzine moto vraiment décalé. Il doit bien y avoir moyen de faire autre chose. Autrement. C’est ce qu’on essaye tous du moins, non ? Les motards qui roulent juste pour éviter les bouchons, on respecte, pas de problème. Mais ceux qui, tout en se jouant de la circulation, y voient un petit ou un gros plus ? Un loisir. Une passion. Un idéal. Faut bien qu’on se remettre en question, non ? Et c’est là que j’ai réalisé que je ne participais plus à aucune sortie moto. Et que j’avais décidé depuis longtemps de ne plus en organiser. J’ai regardé la mer, infinie et insondable. L’Océan Indien. Un milieu hostile et en même temps une invite au Voyage. Et je me suis, dit, en mon for intérieur : « La vache, serait-ce le coup du surf qui se répète ? » Je me rappelle, quand je surfais sans cesse, il y a de cela bien longtemps. C’était une époque où les requins respectaient des horaires et des règles de propreté. Ils chassaient la nuit quand l’eau était crade et nous laissaient à peu près tranquilles le reste du temps. En venant tôt le matin, tu pouvais surfer seul. Ou partager les vagues avec un autre gars. Sans échanger un mot. Juste la nature et le bruit des gouttes d’eau salées sur la crête de la vague glassy, face au petit vent off-shore. Parfois tu venais pour rien. La mer était complètement flat. Ensuite, les blaireaux planifièrent leurs trips et leurs sessions grâce au web et à la météo en ligne. Ils débarquaient en hordes, se téléphonaient pour appeler d’autres blaireaux. La poésie s’évanouissait. Il n’y avait plus de musique des éléments. Juste des cris excités et des trucs débiles pour épater la galerie. Alors j’ai surfé à la pause déjeuné. Brulé et assommé par le soleil. Mais là aussi, ils sont venus avec leurs sales téléphones et leurs hordes de gueulards. Aucun respect. Alors j’ai surfé trop tôt le matin. Ou des vagues trop grosses, dans une mer parfois dévastée par la pluie et le vent. Trop chouette. Mais trop dangereux. Les requins toujours, et les courants aussi. Ensuite, c’était plus facile : les requins et les crevards étaient là partout, tout le temps, et quelle que soit la météo. Alors j’ai raccroché. Bref, comme j’aime à le répéter, ce n’est pas le requin qui m’a chassé de l’eau : c’est l’homme. Bien entendu, il y eut de belles sessions, à discuter avec des gars extras, et à se partager une jolie gauche. Mais cela devenait rare. Et puis on papotait trop. On comparait les boards. On était moins concentrés, moins engagés. On évoquait le bon vieux temps. Ça finissait même par causer boulot ! Vous me suivez ? Cela ne vous rappelle rien ? Moi, j’avais juste repris la moto pour ne plus être emmerdé. Pour avoir des sensations de liberté, au milieu de paysages merveilleux. Attention, j’aime l’asphalte et le béton aussi. J’ai grandi dans une ville portuaire. Puis mes parents ont déménagé à la campagne. Mais y avait des routes. Et je les ai sillonnées en vélo, puis en moto. Bref, du moment que ça roule…Rien ne replace l’odeur du chaud bitume d’été fraîchement mouillé au petit matin ! Je me sens toujours libre sur ma bécane. Mais plus trop comme avant. De moins en moins. Les normes, les caisses, les téléphones, les frimeurs idiots…L’autre jour, je remontais l’inter-file peinard, sur le boulevard. Je fais gaffe au moindre interstice. C’est toujours la possibilité pour une secrétaire pressée de déboiter soudainement en textant à ses collègues qu’elle aura du retard. Je suis zen. Vigilant, mais pas stressé. A droite, dans mon angle de vue latéral, une masse bleu-blanc-rouge me dépasse, mais de l’autre côté des automobiles, sur…la piste cyclable. Il y a des piétons, des mômes qui vont au collège en trottinette, des mamans avec des poussettes. Et il y a ce gars caréné façon Moto GP qui slalome et se tape un bon petit 70 km/h. La semaine dernière, c’était un vélo qui voulait me dépasser par la droite. Je ne l’avais pas vu car sur le Corsair je n’ai que le rétro réglementaire de gauche. C’est a musique de son téléphone (eh oui !) poussée à fond qui l’a sauvé. Je mets un minus gaz. Le gars me rattrape ! C’était un vélo électrique. Pas de gants aux normes complexes, pas de casque onéreux. Pas de permis difficile, pas d’assurances ruineuses. Il était là à me narguer. Putain de moustique. J’en pouvais plus. Je me suis mis en excès de vitesse pour larguer là ce fâcheux danger public. Du point de vue du custom, je vis sur une île où la moindre initiative un peu originale est assimilée à de la pousse, à du rodéo urbain délinquant, à de l’incitation à la voie de fait routière. Pas facile d’organiser autre chose que des barbecues arrosés au Canada Dry (ça existe encore ce truc ?). Et quand bien même. A quoi bon se lancer dans une énième expo avec palettes-barbier-tatoueur-et-crèche-pour-enfants ? A quoi bon lancer de redondants duels au milieu des ballots de paille, avec l’éternelle fille sexy qui saute en l’air en agitant un drapeau à damier ? La Fureur de Vivre ? Vraiment ? Ne m’en voulez pas si je publie moins. Je bosse dur, je retape mes meules dans mon garage, je vais voir mes potes dans leur atelier, quand j’en ai le temps. Je réfléchis. Je ne suis pas du tout déprimé. J’ai toujours vécu avec mon temps. Même quand ce temps est coincé entre le néo-rétro bidon et le pseudo futurisme politico financier. Autour de moi, les bloggeurs et les bloggeuses dévissent, divorcent, font des bébés, changent de boulot. Et c’est légitime. Produire des articles libres et gratuits de qualité, de nos jours, c’est accessible. Le faire longtemps, c’est une autre affaire. Je veux tenir, alors je prends mon temps. Je ne peux plus courir les garages particuliers et les évènements récurrents avec la même ferveur. C’est normal. Paradoxalement, il y a de plus en plus de motos sympas et de gars et de filles engagés. Et je me targue d’y avoir un peu contribué depuis maintenant 4 ans. Songez que quand j’ai commencé, il n’y avait pas de mags spécialisés. Café Racer se demandait encore ce qu’il fallait faire de ces motos étranges qui ne relevaient pas de la collection pure et dure. Ils n’avaient pas de page FB. Pensez à tout le reste. A la multiplication de tout ceci et à la récupération par les firmes. Toutes sans exception. Ce n’est pas nécessairement mauvais. Mais soyons honnêtes. Combien circulaient en side il y a 5 ans ? Maintenant même Mash en sort un. Sans compter le fait qu’à l’époque, Motörhead et AC/DC avaient encore un chanteur ! Il va falloir tenter de donner du sens à tout ça. En attendant, je me suis mis au kayak et je roule tout seul. Et j’écris ce que je peux. Quand je le peux. Je préfère soigner la qualité. Ce n’est pas du mépris, ou de l’affectation. C’est de la concentration. Du respect aussi. De mes lecteurs, de ce que je veux rester aussi. Mes lecteurs, c’est vous, c’est toi. Un bon paquet sont devenus des potes, voire des amis. On se croise sur la route ou sur le réseau. Et ça, c’est unique. Rare. Irremplaçable. Les lecteurs, je les respecte et je les admire. Il en faut du courage, pour lire ma longue prose bavarde sur de petits écrans conçus pour regarder des images et taper trois mots. Je continue donc. Mais dans le recul et la sérénité. Finie la pression de devoir pondre un post par semaine pour attirer un max de clics. Désormais, je me fais juste plaisir. Quelques articles ciselés à la main sur plusieurs jours, parfois plusieurs semaines, tard le soir ou tôt le matin. De très rares balades, quelques virées en soirée et plein de trajets professionnels. Ce qui me donne de l’espoir, c’est cet appétit à la fois ravi et fébrile, quand je démarre une meule que j’ai bidouillée de mes mains. Le plaisir que devient le simple fait d’aller au boulot. Là, d’un coup, dans ma tête et mon corps, je sais que je dois faire gaffe, car je redeviens complètement barge putain ! Et ce sentiment de liberté, jusqu’à preuve du contraire, rien ni personne n’est parvenu à me le voler. Et vous ? Mais n’oublions pas : le paradoxe, quand tu roules seul, c’est que tu espères secrètement croiser plein de potes pour pouvoir échanger des saluts avec eux. Y a de l’espoir je vous dis ! Bisous les amis et bonne route, en meutes, en solo ou à deux 😉 Clay Suivez-nous:
Clay